Chapitre 2

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« Je déteste ce temps. Il fait trop froid.»

En arrivant sur les quais parisiens, l'inspectrice Sienna Brooks vit la lueur bleutée des gyrophares qui illuminait les arbres dépouillés entièrement par l'hiver rude, comme si des jets lumineux prisonniers des branchages essayaient de se libérer. La scène était belle à regarder mais la météo ne lui permit pas de rester trop longtemps. Tournant alors à l'angle de la rue, elle tomba enfin sur le cercle des voitures de police. La présence de ses collègues semblait récente, certains d'entre eux étaient encore dans leurs véhicules.

La victime, qui qu'elle était, venait manifestement d'être découverte.

« Tu me tiens le ruban ? Je déroule le périmétre.

- Pas de problème. »

Les nombreux officiers en uniforme étaient occupés à sécuriser l'endroit, et d'un rapide coup d'œil, la femme reconnut des visages familiers de la cellule d'enquête dont elle faisait partie. Ils patientaient à proximité en buvant un café. 

 Lucas Pringent, Gilles Signac et Clément Passot étaient leurs noms.

Le groupe d'homme s'approcha en voyant l'inspectrice émerger de l'ombre de la nuit. Leurs visages étaient pâles et leurs mines renfrognées.

« Vous en faîtes une tête...

- Désolé Brook, déclara Passot mais la situation ne s'y prête vraiment pas. »

L'inspectrice était prévenue, la couleur était annoncée. Il se passait quelque chose d'important.

De très grave.

Les yeux de la policière s'accommodant à la pénombre, elle finit par apercevoir de l'autre côté une forme isolée affalée dans le noir, un pied, peut-être un bras étendu.

« Couvrez mieux le corps s'il vous plait, dit-elle en direction des médecins légistes. Sinon nous allons rameuter tout le quartier. ».

Les regards se faisaient déjà nombreux. Il y'avait ceux des riverains qui commençaient à s'attrouper de l'autre côté de la rue, mais aussi ceux des journalistes qui n'allaient pas manquer de vouloir les interroger.

« Tu me fais le topo Signac ?

- Pas de problème. Le corps a été découvert il y a environ une demi-heure par quelqu'un qui promenait son chien, informa le lieutenant Signac. La victime est une jeune femme. Tu n'as pas remarqué, Brooks ? C'est toujours des types qui promènent leurs chiens qui découvrent un corps.

- Etrange de promener son chien à cette heure-ci.

- En effet. Je compte bien lui poser quelques questions quand il aura terminé sa déposition. Cela ne mènera probablement à rien, beaucoup de gens aiment traîner dans ce genre d'endroits.

- Cause de la mort ? Etranglée j'imagine ?

- Le médecin légiste confirme qu'il s'agit d'une strangulation. On voit d'ailleurs bien la marque autour de son cou. Il semblerait aussi qu'elle a été traînée sur une certaine distance jusqu'au bord de l'eau, peut-être pour la jeter et faire disparaître le corps ?

- Hum. A déterminer. Mais venons-en à ce dont tu m'as parlé au téléphone. C'est la raison de ma venue. Sommes-nous sûr qu'il s'agit de lui ? Du Prédateur ? »

Le lieutenant ne répondit pas tout de suite. Ses collègues continuaient de l'observer avec gravité.

- Malheureusement oui. Les premiers éléments de l'enquête confirment qu'il s'agit de cette crapule. »

« Le Prédateur », c'était le nom que donnaient les médias au tueur en série qui sévissait depuis quatre mois. Un criminel redoutable qui échappait encore aujourd'hui à la police.

Qui échappait à Brooks.

Depuis quatre mois, tout était allé très vite. La première de ses victimes fut Julie Guérin, vingt-quatre ans, étranglée et gisant à même le sol. Trois semaines plus tard, dans un cimetière des environs, ce fut le tour de Sylvain Bonneton, dix-neuf ans, un étudiant en histoire à Paris Descartes. Puis vint le tour d'un crapuleux gérant de boutique Theo Fournier, un mois plus tard. Là encore, il y avait eu strangulation, mais le décès avait était attribué cette fois-ci aux coups de couteau qu'il avait reçus, selon l'hypothèse de la police, en luttant contre son agresseur. Après un répit d'un mois, Laura Fontaine, infirmière à l'hôpital Saint Louis, et Lise Maillot, avocate, furent assassinées en l'espace de deux semaines.

Et ce soir, cette jeune femme anonyme venait compléter cette macabre liste.

« Combien de temps encore allons-nous le laisser agir ?!

- Il va finir par faire une erreur, pointa Passot.

- Mais quand cela arrivera, enfin si cela arrive un jour, à combien de victime en sera-t-il ?

- Trop, évidemment.

- Voilà, c'est ça qui m'agace. »

L'enquêtrice serra le poing, elle n'aimait pas la tournure que prenait l'affaire. Chaque nouvelle victime découverte donnait un sentiment d'impunité à l'auteur des faits. Celui-ci parvenait toujours à avoir un coup d'avance.

Il fallait que cela cesse. Rapidement.

Elle exaspéra de nouveau en remarquant que les conditions météo pouvaient difficilement être plus mauvaises et les chances de trouver des empreintes étaient très réduites.

« J'espère qu'au moins qu'il s'est attrapé un rhume ou une bronchite en venant tuer ici sous ce froid. »

Sous couvert d'humour, elle visait un point important. Avec ce froid, le Prédateur n'avait pas dû s'attarder assez longtemps sur les lieux. Il n'avait alors pas dû laisser beaucoup de trace et de toute façon, si il y'en avait, elles n'étaient pas lisibles sur le bois, la pierre, les cailloux et les feuilles, ni sur la plupart des tissus, les seules surfaces dont disposaient les analystes pour travailler.

« Je le répéterais jamais assez mais dans cette enquête, il va nous falloir beaucoup de chance. »

En disant justement ces mots, une fine lumière avait attiré l'œil fin de la quadragénaire. Plus haut sur les quais se trouvait une boutique dont l'enseigne indiquait « Livraison 24h/24 ». A droite de l'écriteau, une caméra de sécurité orientée vers eux.

« Passot ?

- Oui Brooks ? Un souci ?

- Quelqu'un est parti visiter la boutique de livraison ? demanda-t-elle en pointant du doigt les hauteurs des quais. »

Elle connaissait déjà la réponse.


Le dernier ennemi à vaincreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant