12 - Futiles existences

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NATASHA ROMANOFF - CLINT BARTON


— Quelqu'un m'a arrêtée dans la rue ...

Ses mots brisent le silence. Elle ne l'a pourtant pas vraiment dit tout haut non plus. A l'autre bout de la pièce, de l'autre côté de la table, il se détourne brusquement de la baie vitrée pour lui faire face. L'absence de la moindre émotion dans sa voix lui fait froncer les sourcils et creuse son front de petites rides. Mais elle, elle se borne à fixer les écorchures sur le bois que ses doigts parcourent distraitement, assise sur sa chaise comme une enfant sage.

— Comment ça arrêtée ?

— Il voulait savoir l'heure qu'il était.

Il pince l'arrête de son nez, ferme les yeux et inspire profondément. Alors, enfin, elle pose son regard sur lui. Comme si elle découvrait sa présence. Sa tête s'incline légèrement sur le côté. Sa réaction l'intrigue.

— Fais gaffe aux mots que tu choisis, Tasha ..., lui reproche-t-il dans un souffle.

— Que voulais-tu que je dise ?

— Je ne sais pas, capitule-t-il d'un ton sec, à la fois excédé et soulagé.

— Je ne le connaissais pas, souffle-t-elle après un long silence.

— C'est généralement le cas avec les inconnus.

Mais elle ne l'écoute pas. Les sarcasmes glissent sur elle comme les flocons fondus glissent sur la vitre au dehors. Elle a bien remarqué sa tension ces derniers jours, mais elle est elle-même trop troublée pour s'en soucier maintenant.

— Je ne le connaissais pas, répète-t-elle, pourtant il m'a arrêtée. Il a tendu son bras vers moi, mais quelque chose l'a retenu avant qu'il me touche. Et il m'a demandé si j'avais l'heure.

Clint semble avoir oublié son amertume. Intrigué, il la fixe dans savoir exactement où elle veut en venir. Quelque part, elle lui fait peur, plongée dans cette espèce de léthargie, avec son air égaré. Il l'a déjà vu auparavant. Il le connait. Alors il sait qu'il ne s'inquiète pas pour rien.

Elle ancre ses pupilles trop bleues dans les siennes. Et quelque chose cède en elle. Un sentiment étrange, comme une urgence, la pousse à lui dire. A tout lui dire.

— Il était en retard et je m'en fichais, mais il s'est quand même arrêté pour me demander l'heure. Jamais je ne me suis sentie si loin, si différente de quelqu'un qu'à ce moment là. Cet homme honteux aux joues rouges ... J'étais si sûre que nous n'étions pas du même monde. Et c'est le cas, nous ne sommes pas du même monde. Pourtant il m'a vue. Il pouvait me voir.

— Arrête ça.

— Tu ne comprends pas, souffle-t-elle en secouant la tête, découragée.

— Au contraire. Alors arrête. Ce ne sont que des détails, des futilités. Ça ne veut rien dire.

— Oui. C'est exactement ça, fait-elle en relevant la tête. Des futilités ... Des petits riens qui font qu'ils sont humains. Qui font qu'ils sont en vie. Ils appartiennent à ce monde auquel nous, nous sommes étrangers.

— Mais ça ne veut pas pour autant dire que nous sommes morts. Ils ne savent pas, c'est tout. C'est la seule différence. Leur ignorance les protège.

— Je crois ... Je crois que parfois, j'aimerais que ma vie soit aussi simple, aussi aveuglément belle que la leur.

— Tu ne le penses pas, Natasha, affirme-t-il avec douceur, sans l'ombre d'un.

Mais uns fois encore, elle est trop loin pour l'entendre, perdue dans ses pensées, dans ses doutes et dans ses peurs.

— Quand sommes-nous devenus des machines ? Qui a arraché ce cœur qui battait dans notre poitrine sans même qu'on s'en aperçoive ? Pourquoi à ce moment, n'avons-nous pas eu la force que nous avons aujourd'hui ?

Ses mots résonnent longtemps dans le silence qu'il lui oppose. Il aurait tant de choses à dire ... Trop de choses. De celles qu'elle n'est pas prête à entendre. Alors il préfère se taire. Et laisser passer le vent de la révolte qui souffle en elle mais qui, il le sait, ne l'emportera pas. 

TrêvesWhere stories live. Discover now