24 - Repartir

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NATASHA ROMANOFF - CLINT BARTON

— Si je devais mourir, Clint ?

Il sursaute, parce que sa question lui a fait l'effet d'une décharge électrique. Et qu'elle lui a fait mal, là, au creux de sa poitrine. Qu'elle a brisé quelque chose. Qu'elle l'a désarmé.

— Ne dis pas ça, fait-il d'un ton dur.

— Non, écoute-moi !

Elle a crié. D'une voix changée par l'émotion, elle a crié son angoisse. Dans son emportement, sans s'ne rendre compte, elle a avalé la distance qui les séparait pour poser sa main sur sa joue mal rasée. D'une légère pression, elle l'oblige à la regarder bien en face. Tout cela est trop grave, trop important. Elle ne peut pas le dire à un dos tourné ou à la dérobade.

— Si je devais mourir, reprend-elle, que ferais-tu ?

— Ça n'arrivera pas.

— Pourquoi est-ce que tu dis ça ?

— Parce que j'empêcherai que ça arrive.

La détermination de son partenaire fait presque fondre la sienne. Troublée, elle rompt le contact entre eux. Mais elle tient bon. Les yeux brûlants, elle prend une grande inspiration.

— Ce n'est pas ce que je te demande.

— Non, tu me demandes quelque chose de stupide.

— Ça n'a rien de stupide !, enrage-t-elle. C'est ton refus de voir les choses en face qui l'est !

— Viens-en aux faits alors ! Qu'est-ce que tu veux entendre ?!

— La vérité !

— Mais la vérité sur quoi, bon sang ?!

Tous les deux se toisent, à bout de souffle, les poings serrés. Elle peut voir la veine de Clint à toute vitesse dans son cou. Et son cœur lui fait mal à force de battre si vite, si violemment dans sa poitrine. Un instant, elle se demande si, de là où il se trouve, il peut l'entendre. Probablement pas. Ou peut-être est-il lui-même trop assourdi par les battements du sien. Elle expulse tout l'air de ses poumons, lentement, le temps de reprendre son calme. Lui aussi semble s'être ressaisi. Pourtant ses bras croisés sur sa poitrine et son regard inquisiteur témoignent de la défiance dont il ne parvient pas à se départir.

— Repartirais-tu en mission ?, demande-t-elle d'une voix adoucie, où pointerait presque de la timidité.

— Alors c'est ça ?, demande-t-il troublé à son tour.

Elle baisse les yeux puis les relève très vite, regrettant ce moment d'inattention. Soudain, elle regrette de le lui avoir demandé. De lui avoir dévoilé une faille béante en elle. De lui avoir montré ses doutes, ses craintes. De lui avoir offert, sur un plateau d'argent, les armes pour la blesser. Elle s'apprête à reprendre ses questions, à feindre l'indifférence et à disparaitre dans le labyrinthe de couloirs. Mais il fait deux pas en avant. Et ça change tout. Sa proximité, mieux que tous les fers, que tous les liens, la retient à sa place. À ses côtés.

— Tous ces cris, c'était pour ça ?, demande-t-il avec douleur.

Elle sait que sa question n'en est pas une. Alors elle ne répond pas, immobile à quelques centimètres de son visage. Il darde sur elle un regard qu'elle peine à soutenir. Si bien qu'elle ne sait plus qui de ses yeux ou du silence est le plus insupportable.

— Eh bien répond !, ordonne-t-elle comme une supplique. Repartirais-tu en mission si je n'étais plus là ?

— Oui.

Il n'a pas cillé. Il a continué à la regarder bien en face pour répondre. De toute façon, elle le connait trop bien pour savoir qu'il dit la vérité. Une vérité crue et amère qui a dans sa bouche un goût si désagréable. Elle inspire avec difficulté et hoche la tête doucement de haut en bas, presque convulsivement, le regard vague et perdu là où il ne peut pas la suivre.

— Je vois ...

— C'est ce que je suis, Natasha, ajoute-t-il d'une voix neutre, sans une once de regret.

— Je sais. Tu n'as pas besoin de te justifier, murmure-t-elle, atone.

— Regarde-moi, fait-il d'une voix douce.

Mais elle n'y arrive pas. Alors, doucement, il prend son visage entre ses mains et lui relève le menton. Elle accroche ses deux mains à ses poignets, mais ne trouve pas le courage de le forcer à la lâcher. Ce n'est d'ailleurs pas ce qu'elle veut. Quand ils rencontrent les siens, ses yeux brillent un peu trop.

- Je partirais. Parce qu'ici ou ailleurs, ça ne fait aucune différence. Ça n'a jamais fait aucune différence. Nous n'avons jamais été chez nous nulle part.

Elle serre les dents. Parce qu'il a raison. Et que la vérité la blesse.

— Alors oui, si on m'en donnait l'ordre, je partirais. Seulement si tu n'étais plus là, je ne verrais pas l'intérêt de revenir, souffle-t-il.

Son cœur manque un battement. Elle fronce les sourcils, ouvre la bouche tout en cherchant quelque chose à dire. Mais il ne lui en laisse pas le temps. Il l'attire contre lui, l'entoure de ses bras. Et elle s'agrippe à son uniforme. Il la serre de toutes ses forces. À lui en briser les os. À s'en briser le cœur. Mais qu'importe ! Ce soir, ils sont encore en vie. 

TrêvesWhere stories live. Discover now