- Eh bien..., dis-je, j'arrivais par la route avec ma voiture et dans un moment d'inattention je me suis retrouvée dans le fossé.
- Vous avez essayé de faire redémarrer le moteur?, demanda David.
- Oui... et ça n'a pas marché... mais peut-être que si on m'aidait j'y arriverais. Ensuite je suis sortie de la voiture tant bien que mal et prenant ma valise j'ai marché le long de la route. J'ai aperçu un motel: j'ai demandé une chambre et ils m'ont dit qu'ils n'en avaient pas. Ils m'ont refusé leur aide et je suis repartie en marchant jusqu'ici.
- Dites-moi, demanda Christian, leur avez-vous dit d'où vous veniez?
- Oui j'ai dit que je venais de New York et... »
Je levai la tête et vit les regards se croiser comme s'ils venaient de comprendre quelque chose.
- Oui, rajoutai-je, c'est sûr que trempée comme j'étais ils n'ont pas voulu de moi... »
Je ris doucement mais Christian me coupa:
- Ce n'est pas pour cette raison. C'est parce que vous êtes new-yorkaise, Emilie. On a eu pas mal de problèmes avec des new-yorkais... mais ne vous inquiétez pas. Où alliez-vous ?
- J'allais chez les Nolan. Quelques maisons plus loin je crois. »
Marilyn leva les yeux au ciel et s'exclama:
- Ma pauvre fille! Les Nolan viennent de déménager en France! »
Je me sentis soudain très seule. C'en était trop pour la soirée: déjà la voiture, ensuite la pluie, ensuite le motel, la faim... ma fourchette s'arrêta à mi-chemin entre l'assiette et ma bouche ouverte et retomba dans l'assiette. David demanda:
- À qui était cette voiture?
- Ma soeur. »
Christian rit et me dit d'un air moqueur :
- Vous direz à votre soeur qu'elle fasse revoir sa voiture plus souvent! »
Je déglutis et répondis:
- Ma soeur est morte dans l'incendie de ma maison il y a un mois et demi. »
L'impact de mes paroles laissa planer sur la table un silence étrange et gêné. Christian baissa la tête, honteux et les enfants firent de même.
- Mais quand je rentrerai à New York, je lui transmettrai votre conseil. »
À peine j'avais fini de dire ces mots que je les regrettai aussitôt. Je me mordis la lèvre et m'excusai d'un regard et continuai de manger.
- Voulez-vous nous dire ce qu'il s'est passé?, demanda Marilyn comme pour me soulager.
- Eh bien... pourquoi pas. À New York, j'habitais dans une jolie maison un peu isolée. On y accédait par une allée bordée de fleurs de toutes les couleurs et c'était joli car, au printemps on voyait les abeilles butiner dans la lumière du soleil couchant. J'habitais avec ma soeur et deux neveux, ses enfants d'un premier mariage. Nous avions un chien, un labrador nommé Tobby. Donc, il y a un mois et demi, le 15 février, il y eut cet incendie. Ma soeur était allé se coucher plus tôt que moi ce jour-là et avait déjà couché Stan et Robert ses deux enfants. J'allai me coucher vers 23 heures et restai éveillée un moment avant de sombrer dans un profond sommeil. Vers une heure du matin, un odeur de brûlé me réveilla en sursaut et je me levai. Je vis que le feu avait déjà envahi la cuisine et que les flammes léchaient le canapé et les rideaux du salon. »
J'avalai ma salive et continuai mon récit:
- Je réveillai Daisy, ma soeur et me dit qu'elle allait réveiller les enfants et qu'elle me rejoindrait dehors. Elle me demanda de prendre l'argent dans l'entrée et monta dans la chambre des enfants. Dehors il pleuvait à verse et les pompiers étaient déjà présents. Ma soeur n'est jamais sortie. Ni Stan ni Robert... ni Tobby. Je regardais, impuissante, les flammes dévorer ma vie et mon bonheur et le voyait partir en fumée dans le ciel. Il n'est rien resté de la maison, tout a été détruit. J'étais pétrifiée devant ce spectacle affreux. Je tremblais de froid dans ma chemise de nuit blanche et mon dos mouillé était parcouru de frissons tandis que je sentais la chaleur du feu me brûler le visage. »
Personne ne dit rien pendant un long moment jusqu'à ce que Christian murmure un excusez-moi plein de repentir. Je lui souris avec bienveillance et continuai mon récit.
- Plantée là, je me sentis soudain très petite, ridicule, un moucheron. J'étais en train de tout perdre et je regardai ce bonheur s'envoler comme un feu de joie avec de grandes flammes. Sauf que excepté une vingtaine de personnes, la Terre entière se moquait de moi et de mon malheur. À part à New York, personne ne serait au courant de l'incendie. Et puis, je remarquai un homme qui parlait avec les pompiers et paraissait désespéré. Il vint vers moi et se présenta: c'était l'amant de Daisy et elle ne me l'avait jamais dit. On ne parlera pas du mari de ma sœur c'est mieux.
- C'est lui qui vous a hébergé quelques jours ?
- Oui, il m'emmena chez lui et m'hébergea pendant un mois et demi environ mais sa famille me jeta dehors... je pense qu'ils auraient préféré voir Daisy vivante et moi morte. Alors je me suis retrouvée seule au monde.
- Vos parents?
- Morts les deux. Ma mère, morte en couche et mon père s'est tué en avion quand j'avais 16 ans. Il voyageait beaucoup. Ma soeur avait 4 ans de plus que moi et m'a éduquée comme une mère quand mon père est mort.
- Eh bien, dit Marilyn, vous avez vécu des événements terribles... si vous voulez, nous pouvons vous loger dans l'annexe?
- Volontiers, soufflai je. »
Ils se mirent d'accord et Christian descendit des draps propre pendant que David couchait les enfants.
- Je m'appelle Stanley, dit un enfant, et mon frère s'appelle Louis.
- Moi c'est Émilie ! Bonne nuit ! »
Je pris ma valise et suivit Christian qui ouvrit un parapluie pour m'abriter. Nous marchâmes quelques mètres avant d'arriver à l'annexe. Nous entrâmes. L'intérieur était accueillant mais poussiéreux. Christian me guida à ma chambre et mit les draps propres à la place des autres. Il me dit:
- Emilie. Pardonnez-moi. Je ne voulais pas vous blesser.
- Vous ne pouviez pas savoir. Vous êtes déjà pardonné. »
Il chercha quelque chose dans ses poches de chemise et sortit un stylo-plume en argent.
- Tenez, gardez le.
- Mais pourquoi ? C'est bien trop beau...
- Pour écrire. Écrire votre histoire. Vous savez tellement bien raconter... bonne nuit!
- Bonne nuit. Et merci! »
VOUS LISEZ
Il était une fois dans le Montana
RomanceLorsqu'Emilie Marti, 20 ans, perd sa soeur et ses deux neveux dans l'incendie de sa riche maison de New York, elle se retrouve seule au monde. Elle arrive dans le Montana un mois et demi plus tard, abandonnant du jour au lendemain sa ville natale...