9- Mission Commando (ou pas)

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Aujourd'hui, l'ambiance est bizarre.
Quand j'entre dans le lycée avec Max, tous les petits hypocrites se retournent sur lui.
Ils sont vraiment assoiffés de rumeur, ces gens, c'est fou.
Après ma conversation d'hier avec Vanessa, elle a dû tout balancer.
Rrrrrrh. Elle me soûle.
Je regarde, mon frère qui est très mal à l'aise, et lui demande:
-Tu veux rester avec Chris et moi, aujourd'hui?
-Non, je gère, me repond-il.
Je vois bien qu'il ne gère pas du tout, mais il ne veut pas blesser sa fierté.
C'est compréhensible. Max est populaire. Il ne doit pas laisser gagner sa faiblesse, d'après les codes du lycée.
Ça m'énerve qu'il se cache autant.
Ici, à part James, Chris, et moi, personne ne le connaît vraiment.

•••

Je rejoins mon amie devant son casier, parce qu'il commence à faire vraiment froid pour aller dehors.
Pour une fois, elle est là avant moi.
Et elle sourit dans le vide.
Je l'avais dit, elle est bizarre en ce moment.
Mais tant mieux, elle a l'air contente, alors je suis contente pour elle.
-Chris? je lui demande alors que nous nous dirigeons vers notre premier cours.
-Ouais, quoi? me répond-elle, dans les nuages.
-J'ai une mission aujourd'hui.
-Ah ouais, laquelle? continue-t-elle, tournant la tête quand on dépasse mon frère et ses amis.
Je comprends mieux maintenant.
-Chris, tu peux m'en parler, tu sais?
-Tu disais?
Je répète donc ma question, limite en criant pour capter son attention:
-TU PEUX M'EN PARLER!
-Ah ouais ouais. Mais il y a rien à dire.
Elle me fait rire, mais je laisse passer.
Je l'adore.

•••

Quelques heures plus tard, en maths, Adam me tend un mot.
Je n'ai pas du tout envie de le prendre, et je n'oublie pas ma mission.
L'ignorer. Je dois l'ignorer.
Du coup, je ne prends pas ce mot.
Je vois son bras se rabattre, mais je m'en fiche.
Pour une fois, je suis attentivement le cours de Mrs Teed.
Je suis forte en maths, et j'aime ça, mais je déteste aller corriger ou des trucs comme ça.
Aller au tableau, devant des gens, expliquer, prendre la parole. Non merci.
Et ça, Mrs Teed l'a bien compris.
C'est pour ça que j'apprécie son cours.

•••

À midi, j'ai supplié Chris pour que l'on n'aille pas à la cafète.
Elle n'a pas trop insisté. Elle était un peu déçue, mais m'a suivie quand même.
Du coup, on est sorties du bahut et on a mangé KFC.
Actuellement, on peut dire adieu au régime. Oups.
C'était bon, calme et on y a croisé personne que l'on connaissait.
Le repas parfait.

•••

En rentrant à la maison, je suis fière de moi.
J'ai accompli le premier jour de ma mission commando tout en ayant l'occasion de manger au fast-food. Le bonheur, quoi.
Il faut que je finisse la semaine dans le même état d'esprit, maintenant. La mission n'est pas achevée.

Il faudrait peut-être que je pense à faire mes devoirs. On est surchargés en ce moment, ils abusent. Comme si on avait pas de vie extérieure.
Enfin, de mon côté, je n'en ai pas beaucoup, mais le sport me prend beaucoup de temps. Lucy aussi.
Bref, je me mets à travailler, toujours en écoutant de la musique.
Le bruit de notification qui s'échappe de mon téléphone me ramène sur Terre.
J'étais plongée dans la lecture d'un devoirs de biologie incompréhensible.
Du coup, je regarde mon téléphone.
Je n'ai qu'un seul réseau social, et très peu de contacts.
Je n'ai pas vraiment besoin de mon téléphone en réalité. Il m'est juste indispensable pour la musique.
La notification provient d'Instagram. C'est rare, même très rare, quand mon Instagram se manifeste.
Je n'y ai pas plus de 20 amis et la moitié fait partie de ma famille.
Pourtant, j'ai été identifiée sur une publication.
Une publication de Vanessa Gale.
Elle a posté une photo de Max, Louise (mon amie d'enfance «) et moi, lorsque nous étions petits.
Les larmes me brouillent la vue.
Cette photo est si drôle, pourtant.
Je me souviens de cette journée.

•••

Louise, Max et moi devions avoir 4 ans. Nous étions vraiment petits.
C'était l'hiver, il neigeait. C'était fou comme il y avait beaucoup de neige.
Nous étions sortis, avec maman, afin de nous amuser: bataille de boules de neige, bonhomme de neige, la totale quoi.
Mathilde était restée avec papa à l'intérieur, car elle était malade.
Nous, petits enfants de 4 ans que nous étions, avions eu comme bizarre idée de manger la neige.
C'était très drôle, mais nous avions froid. Très froid. Et ce n'était vraiment pas bon. Je le déconseille.
Maman avait pris une photo de nous trois, allongés dans la neige comme des enfants qui vivaient leur meilleure vie en mangeant, avec appétit, la poudreuse qui recouvrait le sol.

•••

Ma mémoire est extraordinaire, mais quelquefois, j'aimerais m'en passer.
Les meilleurs souvenirs sont parfois les plus douloureux.
Vanessa avait réussi à me refaire pleurer. Une seconde fois dans la même semaine.
Max et moi étions identifiés. Comme légende, elle avait noté:
« Les deux Patson à la neige. Toujours aussi débiles. »
Je ne sais pas ce qu'elle avait avec ma famille, mais si elle voulait nous faire du mal, son but est atteint.
Pour ma part, en tout cas.
J'espère que Max ne l'a pas vue. J'ai pas envie qu'elle le blesse encore, lui.
Elle en a assez fait.

•••

Je m'enferme donc une nouvelle fois dans ma chambre. Toute la soirée.
Vanessa ne connaît même pas un millième de notre vie, et de notre passé.
Les souvenirs que sa publication a fait renaitre en moi sont douloureux.
Maman me manque. Louise aussi.
Et Max, il paraît tellement plus heureux sur cette photo que maintenant.

Papa, Max, et même Chris ont essayé de venir me parler chacun leur tour.
Lucy aussi est venue. Je l'ai laissée entrer. Elle est venue me faire un câlin, la spécialité de la famille, mais est vite repartie car je l'ennuyais.
Elle m'a quand même remontée le moral.

J'entendais Chris, Max et papa manger en bas.
Ces souvenirs m'ont coupé l'appétit.
Le manque, c'est horrible. Ça vous arrache le cœur, vide votre estomac et remplit votre tête.
Cette semaine, je suis redevenue une enfant, très faible.
Ça m'arrive. Mais j'abandonne. Je baisse les bras, pleure et m'endors.
De tout manière, je n'ai pas trouvé d'autres façon de vivre avec le chagrin.

•••

À la base, je vais tous les jours sans exception au lycée avec James et Max.
Aujourd'hui, j'ai choisi de prendre le bus.
Je me suis donc levée tôt et je suis toujours en train de me préparer.
Je n'entends encore aucun bruit. Personne n'est réveillé.
Je laisse un mot sur la table, emporte une tranche de pain et me dirige vers l'arrêt de bus.
Je déteste les transports en commun, d'habitude.
Toutes les bactéries dès que tu touches quelque chose.
Tous les gens qui te jugent si tu ne rentres pas dans leurs codes de beauté.
Les odeurs, le bruit, les chauffeurs, les gens. Tout ce que je déteste.
Pourtant, aujourd'hui, je préfère affronter des inconnus plutôt que les personnes que j'aime le plus au monde.
Je ne suis pas prête à accueillir du réconfort ou à répondre à quiconque me posant une question.
Du coup, je monte dans ce bus tête baissée, avec mon casque qui hurle ma super playlist dépression.
Je sens la mauvaise journée arriver.

Deux pertes pour une rencontreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant