chapitre 1

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Je cours à travers le grand couloir de l’aéroport Charles-de-Gaulle, ma grosse valise dans une main, mon billet dans l’autre, le brandissant en l’air comme si ma vie en dépendait.
Si je loupe cet avion je suis morte, au sens propre comme au figuré, et malgré ma cadence soutenue, j’ai l’impression de courir au ralenti. C’est comme dans ces rêves où l’on cherche à échapper à un tueur et, que malgré toute notre volonté, il nous est impossible d’aller plus vite. Notre rythme cardiaque s’accélère, la pression augmente, nos jambes s’activent et pourtant on fait du sur-place. J’ai peur, horriblement peur, et ça faisait bien longtemps que je n’avais pas ressenti une telle angoisse.
Je dois à tout prix attraper mon vol, m’éloigner de lui. Ma vie en dépend. Sa folie est sans limite, et je suis partie dès que j’ai pris conscience de l’étendue de son instabilité psychologique. Je le sais, j’ai joué un rôle dans sa démence.
Rester en France m’aurait causé bien des ennuis. Si j’ai souvent pris des drogues pour oublier mon passé, elles ont aussi eu l’inconvénient de semer le trouble dans mon esprit ce soir-là. Si j’étais capable de me souvenir, ça serait beaucoup plus simple. Mais je n’ai pas d’autres options que la fuite .
Plus l’heure du départ approche et plus je panique. Pourquoi faut-il que cet aéroport soit si grand ? Je suis dans le hall 1, c’est déjà ça, mais maintenant, quelle porte ? A, B, C ? Arg ! Je soupçonne un complot contre moi pour m’éviter de me rendre aux États-Unis.
J’aurais bien choisi le soleil de Cuba, le froid du Canada ou même la solitude de la Creuse pour tenter de me faire oublier. Mais sans argent ni diplôme, et vu l’urgence de la situation, j’ai dû me résoudre à accepter la proposition de mes parents qui, il faut le dire, est tombée à pic : aller vivre chez ma sœur. Quitte à mettre le plus de distance entre lui et moi, quoi de mieux qu’un océan entier pour nous séparer ?
Je leur ai bien demandé s’ils avaient d’autres idées d’options, mais ils ont été formels, pour eux, si je voulais quitter la France, avec leur aide, il n’y avait qu’une solution possible. Je pense surtout que ça les arrange. Ma sœur et moi ne nous adressons plus la parole depuis plusieurs années. Je sais que cette situation leur pèse. Pourtant, ils auraient dû y songer avant de se ranger de son côté.
J’aurais aimé être une petite souris pour admirer la réaction de ma sœur quand nos parents lui ont annoncé la nouvelle. À coup sûr, elle a froncé les sourcils et a eu une petite grimace de gosse pourrie gâtée à qui on refuse une confiserie. Je suis tellement en colère qu’une fois de plus ils tentent de nous rabibocher elle et moi. Ils n’arrivent pas à comprendre que c’est peine perdue. Il n’y a plus rien à faire… Jamais je ne lui pardonnerai de m’avoir tourné le dos… jamais !

« Les passagers du vol 192 à destination de l’aéroport JFK - New-York sont priés de se rendre à la porte B immédiatement », annonce une voix dans les haut-parleurs du hall.

C’est le mien !
Lorsque que j’avise la porte d’embarquement et les hôtesses qui attendent les derniers retardataires, je ne réfléchis plus et fonce droit sur elles. Je cours comme une dératée, évite de justesse un gamin qui se jette quasiment dans mes jambes et percute un pilier de plein fouet. Un pilier, chaud, grand et tout en muscle. Le choc est tel que je perds l’équilibre et me retrouve les quatre fers en l’air. Ma tête cogne contre le sol carrelé de l’aéroport, la douleur se répercute et vibre dans tout mon corps. Je porte ma main à mes tempes et y exerce une forte pression, comme si ce simple geste allait m’empêcher de souffrir davantage. Tu parles ! J’ai l’impression de voir des étoiles défiler devant mes yeux et des anges faire la ronde au-dessus de mon crâne.

— Bordel de merde ce que ça fait mal !

— Oh mince, je suis vraiment désolé, s’excuse une voix masculine.

Je ne prends pas la peine de lever les yeux vers lui et ne remarque qu’une main virile tendu vers moi, sûrement pour m’aider à me relever. Je l’ignore, me redresse furieuse.

Effet MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant