A story in your head

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Les jours passent et son état empire. Il y a des limites à la douleur physique et mentale qu'on peut vouloir supporter et il s'avère que la volonté il en reste assez peu. Il ne fait bientôt plus de distinction dans les pilules qu'on lui donne. Une poignée de médicaments comme des confiseries, c'est tout ce qu'il ingurgite avec de l'eau, faut que ça passe les nœuds dans sa gorge et son estomac qui se rétracte menace toujours de refuser l'apport. Vomir les gélules à demi fondues laisse un goût atroce sur la langue.

Tout se mêle. Le temps n'existe plus. Il est en train de mourir.

Il a du mal à réaliser, et quand il lui reste assez d'énergie pour tourner la tête vers la fenêtre et voir, par l'échappée, des images de son ancienne vie se superposer aux perspectives du bâtiment d'en face, une sorte d'étonnement l'envahit comme le vertige.

Katsuki essaye de penser. Il y a tant de questions sans réponses. Il s'éparpille, c'est comme s'il y avait un fuseau avec différents fils, différentes couleurs, textures, tiens, du nylon, et un gros brin de laine, des tresses, et puis des fils de coton, fins et presque imperceptibles, comme ceux que sa mère utilisait pour repriser ses pantalons déchirés, coudre des pièces de tissu avec les écussons d'All Might sur ses genoux qu'il ne manquait pas de faire craquer. Oui, une grosse poignée de fils tout droit sortis de la boite à couture, qui s'emmêlent et partent dans tous les sens. Il essaye d'en suivre un, puis un autre, il s'embrouille, s'y perd - il fait trop sombre - il se rappelle qu'il n'a qu'une main, peut-être est-ce pour cela qu'il n'arrive pas à les dénouer, on n'est pas bien habile, avec une seule main. Il cherche le sens de tout cela, les idées s'effilochent ; entre souvenir et rêve, hallucination et bad trip. Cela formait un motif, cette tapisserie, cela avait une signification - peut-être que s'il pouvait voir, remettre en ordre, prendre du recul, il arriverait à distinguer le dessin qui s'y trouve. Le réseau semble toujours le ramener à Deku, comme si toute cette maille lâche et mal ajustée s'était tissée à partir de son image, que tout revenait toujours à lui, que la réponse était là. Mais avant qu'il puisse le distinguer, avant que ses efforts maladroits n'aboutissent à autre chose que davantage de nœuds, une flamme surgit et vient embraser les fils de couleur. Pris individuellement, ils paraissent jolis, un écheveau prometteur, et pourtant... cet ensemble grotesque, indémêlable qu'ils forment, il en est certain, n'est qu'une chose informe, un agglomérat sans valeur - comme toutes les couleurs de l'arc en ciel peuvent se réunir pour teindre une peau marquée par les coups. Tout se noircit, se disperse, et bon débarras. S'il pouvait le voir, le dessin qu'il a tissé avec les fils que sa mère lui a laissé, ce serait quelque chose d'aussi laid que le visage d'un garçon qui incarne l'espoir, défiguré par ses poings.

C'est trop tard, de toute façon. La fièvre, la douleur le harassent sans lui laisser le loisir de réfléchir, faire son deuil ou revoir défiler sa vie comme on le prétend dans les films. Ballotté entre l'inconscience et l'éveil, il renonce à ses prétentions de comprendre. De jour en jour, le bras noircit et la figure du jeune aide-soignant qui le change et le soigne semble triste, lorsqu'elle apparaît. S'y superposent les traits d'Izuku, et le blessé gémit doucement : "Va-t-en, va-t-en..."

Une fois qu'il se retrouve seul dans la chambre qui empeste, il ne peut retenir la peur de l'écraser. Situation oppressante, sans échappatoire. La faiblesse de ses membres, le vertige qui le saisit à chaque mouvement, la lourdeur de son corps qui s'amaigrit pourtant, de jour en jour, ne lui laisse aucun échappatoire. La lumière l'agresse, dessine des prismes aveuglants dans son champ de vision, mais quand il ferme les yeux sur le noir, l'angoisse qui le saisit à en couper le souffle les écarquille derechef.

Un jour, il émerge en criant d'un cauchemar dont les images disparaissent aussitôt. Un linge frais est appliqué sur son front, puis vient délicatement essuyer ses yeux caves. Le jeune aide-soignant est assis à son chevet, et le contemple d'un air grave, avec toujours cette peine dans ses yeux clairs. Leurs regards se rencontrent, et Katsuki cille confusément avant de détourner la tête. Et il tombe ainsi sur sa main posée sur le drap, sa main qui tient encore la photo noircie de Deku.

Ce que l'on sèmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant