Lettre 6 :

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- Ma sœur va mal en ce moment. Elle reste enfermée dans sa chambre sans parler à personne comme une ermite.

Bulle a l'air désemparée. Bonnette ( ou Clara ), sa sœur, l'inquiète. Elle a des cernes noirs qui lui tombent jusqu'au menton et le casque enfoncé sur ses oreilles à longueur de journée. María propose l'idée d'une crise d'adolescence, mais Madeleine la réfute : déjà faite en troisième, selon elle.

Bonnette tire son surnom du chapeau en forme de lion gryffondoresque un peu trop excentrique qu'elle traîne tout le temps pour cacher son front ou la misère de ses cheveux bruns. Elle porte des lunettes rondes qui la font ressembler à une intello, mais elle fiche un pain dans la face de quiconque l'appelle comme ça.

Elle est drôle Clara, à toujours avoir un livre sous le bras. Harry Potter, dont elle tire toutes ses références, gagne la première place dans son cœur de lectrice. Je n'ai jamais aimé les gros bouquins, mais je lui avais promis de me mettre à la lecture, rien que pour cette saga. On est amis, elle et moi, comme vous l'aviez été. On s'entendait relativement bien avec les frères et sœurs de nos potes.

Je viens de t'expliquer qui est Bonnette, alors que vous étiez ensemble au groupe de dessin du lycée. Tant pis, cela servira quand tu nous auras tous oubliés et que tu reliras mes lettres pour savoir qui tu étais.

- Justement, la voilà. Clara ! l'interpelle sa sœur.

Elle enfonce son bonnet jusqu'à ce qu'il cache ses yeux et se met à marcher plus vite. Curieux de savoir ce qui lui arrive, je la rejoins et entoure ses épaules de mes bras.

- Pas si vite minette !

Elle m'écrase le pied. Pas assez fort pour que j'aie mal, mais assez appuyé pour me dire : « C'est une préface à ce qui arrivera si tu me causes. ». Elle continue de marcher en direction du bâtiment des arts. Bulle et María me rejoignent et la suivent, plutôt décidées à comprendre ce qui se passe.

- Clara ! appelle la belle espagnole en roulant divinement son r.

Bizarrement, quand c'est elle, elle se retourne. Son bonnet à tête de lion s'est relevé pendant sa marche rapide et il dévoile ses yeux injectés de sang. Soit elle fume des produits illégaux (ce qui est relativement peu probable), soit elle a pleuré toutes les larmes que son corps mettait à sa disposition. Je n'ai pas besoin de faire le choix puisqu'elle y apporte elle-même la réponse. Deux grosses perles salées se forment au coin de ses yeux.

- Par les chaussures les plus rapiécées de Merlin, tu vas nous dire ce qui t'arrive ? lui crie presque sa sœur.

Si elle a compris la référence, Bonnette n'en laisse rien paraître. Son visage se tord dans une expression d'atroce souffrance. Elle pose ses yeux prêts à déborder sur moi et dit d'une voix faible et brisée qui m'assène un coup au cœur :

- C'est de ma faute s'il est parti.

Sans rien ajouter, elle s'éloigne en faisant claquer avec violence ses Doc Martens sur le sol.

°°°

Une expression béate collée sur le visage, Amélie dessine. Je tomberais presque amoureux de sa jolie joie enfantine qui envahit la salle trop grise de l'accueil dans laquelle Bulle, María, Thomas, Amélie et moi attendons que Clara termine sa conversation avec l'infirmier. Je ne peux pas voir ce qu'elle griffonne, elle cache son œuvre de sa main.


Cloc ! Cloc ! Cloc !

Thomas fait claquer ses ongles vernis de noir sur l'accoudoir du fauteuil qu'il occupe. Il est revenu ce matin, des cernes sous les yeux mais le sourire aux lèvres. Il a été escorté toute la matinée par la pionne Sandra qui craignait une nouvelle bagarre. Le principal n'a pas puni ceux qui l'ont attaqué. María a gueulé au scandale quand on le lui a appris, et le père de ton copain aussi. Moi, j'ai fermé ma bouche. Pas particulièrement envie de donner mon avis après ce que j'ai fait à Adam.

Le jour où nous sommes devenus jeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant