Tuer ou être tuée.

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          Le paysage défile sous les yeux de la petite fille. Ses yeux émerveillés détaillent tout avec candeur et attention. Puis sa concentration se brise et elle se tourne vers sa mère.

- Quand est-ce qu'on arrive ? interroge-t-elle de sa voie aiguë.

- Quelques minutes, attends encore un peu, souffle Jane, le regard rivé sur la route.

          L'adulte est fatiguée. Elle est épuisée autant moralement que physiquement. Son ex-mari en prison lui pèse sur le morale ; sa fille Brenda, encore innocente, qui ne comprend pas ; son corps qui se souvient des coups et son travail lui prend trop de temps. Elle n'a qu'une envie : se reposer. Prendre soin d'elle pour l'après-midi, se retrouver. Emmener Brenda pour un goûter est la meilleure idée qu'elle a eue. A peine est-elle arrivée que la petite saute de la voiture pour sonner au portail. Jane salue rapidement les parents puis s'en va. Elle a hâte de retourner chez elle. Elle songe à ce qu'elle va faire. Boire du thé, se maquiller, faire une sieste, prendre un bain, faire un masque, vernir ses ongles... Que de possibilités ! Au final, quand elle arrive dans son garage, elle ne sait toujours pas quoi faire en premier. Peut-être une tisane... Elle sort les clés de la poche de son manteau et au moment où elle ouvre la porte, un malaise survient. Son ventre se noue et ses yeux balaient la pièce. Elle ne sait pas d'où vient ce sentiment mais essaie de l'oublier. Elle enlève son manteau, referme la porte à double tour et va dans la cuisine. Elle sort la bouilloire, le sachet de tisane, le miel et la cuillère. Elle met rapidement de l'eau dans le récipient et en attendant qu'elle chauffe, elle se pose devant la télévision.

          Il est 15 heures, elle va donc sur la chaîne du journal. Elle aime bien être informée et savoir ce qu'il se passe dans son pays et dans le monde. Elle écoute rapidement, d'une oreille distraite, ce qu'il se raconte ; mais une parole attire son attention. Evasion. Des prisonniers se sont évadés. Jane sent son malaise revenir au galop et continue donc d'écouter, clouée dans son fauteuil. Trois hommes ont réussi à partir de la prison où Dick, son ex-mari, est incarcéré. Deux ont été rattrapés mais le troisième, après avoir tué un gardien, court toujours. A ce moment-là, Jane n'entend plus la télé. Elle sait. Dick s'est évadé. Et au moment où, derrière elle, elle entend les marches d'escalier grincer, elle comprend. Il est chez elle, là, tout près. Elle peut sentir son odeur. La même fragrance qu'elle a reniflée à son arrivée. Comment a-t-elle pu ne pas la reconnaître ? Tous ses sens sont tournés vers lui, alors qu'elle lui tourne le dos. Elle peut presque voir son sourire carnassier, sa barbe mal rasée, ses yeux séducteurs, sentir ses bras qui se referment sur elle dans une étreinte mortelle. Elle rouvre les yeux quand les pas se sont arrêtés. Il est juste derrière le fauteuil. Et quand sa voix résonne, Jane se sent encore plus mal. Elle est complètement paralysée.

- Je t'ai manqué, chérie ?

          Elle n'ose pas répondre. Ne peut rien ire de toute façon. La peur l'empêche de bouger ou de prononcer le moindre mot. Elle sent une main sur ses cheveux, qui caresse quelques mèches. Elle ne peut que fermer les yeux, subissant en silence et cachant son dégoût. Va-t-il la tuer, comme il a tué ce gardien de prison ? La main glisse sur son visage et au moment où elle atteint son cou, c'est l'électrochoc ; Jane retrouve le contrôle de son corps. Pile à temps. Elle saute du fauteuil et court, ne se retournant pas. Elle ne pense qu'à fuir. Elle veut sauver sa peau.

          Elle voit la porte devant elle, mais n'a pas le temps d'attraper la poignée que son bras est tiré en arrière. Dick la tourne vers lui, les yeux remplis de rage, et Jane se dit que c'est fini. Elle essaie tant bien que mal de s'échapper mais c'est peine perdue. Sa force est trop faible comparée à la sienne. Sa musculature a toujours été plus développée. C'est ce qui l'avait séduite d'ailleurs. Et c'est ce qui la tuera. Elle ne veut pas mourir. Alors elle le griffe, le frappe à son tour et crie. Elle réussit à griffer son œil. Elle l'entend geindre de douleur et en profite. Elle se précipite dans la cuisine pour lui échapper et ouvre le tiroir des couverts. Elle se saisit d'un couteau et quand elle se retourne, il est là, dans l'encadrement de la pièce et l'empêchant d'atteindre la sortie. Son œil est en sang. Jane sait qu'il compte la tuer. C'est soit lui, soit elle. Alors elle brandit son couteau et le pointe devant elle, le menaçant.

          Jane sent les larmes dévaler le long de ses joues. Son visage doit être rouge, elle est complètement essoufflée. Elle ne fait attention à rien d'autre que lui. Plus rien n'existe. Elle ne réfléchit plus. Elle est comme une bête sauvage. Une bête qui veut protéger sa vie et celle de ses enfants. Brenda. Cette pensée s'immisce dans son cerveau. Elle ressemble vraiment à son père. Ils ont le même nez, la même bouche et les mêmes yeux. Si Jane meurt, Brenda sera orpheline. Elle refuse de mourir. Si ce n'est pas pour elle, c'est pour sa fille. La bouilloire siffle et elle y voit là un signal. Elle se saisit de l'objet d'une main, ouvre le couvercle et balance l'eau bouillante sur le visage de son ex-mari qui s'approchait. Une manière symbolique d'effacer la tête de Brenda sur ce monstre. Il hurle et se tord de douleur. C'est le moment.

          Elle jette la bouilloire ainsi que le couteau et court, poussant Dick du passage. La porte d'entrée est juste à côté. Elle essaie de l'ouvrir, insiste puis se rappelle qu'elle l'a fermée à clef. Elle fouille les poches de son manteau à la hâte et réussit à les trouver. Elle rêve de revoir sa fille. Elle veut la serrer dans ses bras, l'embrasser et lui lire une histoire le soir, comme avant.

          Au moment où elle tourne la poignée et où la lumière extérieure la touche, elle se dit que c'est fini. Puis une douleur la transperce. Elle s'écroule, refermant la porte à cause de son poids. Dick l'a poignardée. Avec le même couteau qu'elle a utilisé pour le menacer. Son visage est brûlée et elle ne voit plus sa fille en lui. Jane ne reverra plus Brenda.

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