Pique-nique bienvenu.

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          Une fin de matinée magnifique, le soleil qui inonde nos visages bienheureux, la nature qui nous entoure, le paysage montagneux... C'est un parfait tableau. Mais pas pour moi. Je ne veux pas être ici. Mes quatre amis m'ont forcé la main et j'ai même dû ouvrir le chemin dans les sentiers rocheux. Quelle idée de vouloir faire un pique-nique un dimanche midi en montagne ! Sous prétexte qu'ils veulent profiter de la vue qu'on a en haut de la falaise... Mais aussi magnifique soit-elle, c'est juste un paysage. Et je suis sûr qu'il va pleuvoir !

          Anaïs et Marianne ont apporté les sandwichs pour tout le monde. Elles ont même pensé à prendre une nappe pour qu'on ne salisse pas nos vêtements dans l'herbe. Elles bien prévoyantes... Leur visage innocent m'irrite. Nicolas et Eugène les regardent en se disant qu'ils ont bien fait d'être mariés à elle, qu'elles font des bonnes maîtresses de maison. S'ils savaient... Si elles aussi savaient... J'adorerais voir la tête d'Anaïs en lui annonçant que son cher époux Nicolas, qui se montre macho et irrespectueux, est un soumis dans un autre contexte. Ils font tous comme si leur couple était parfait mais j'ai couché avec chacun d'eux. Aucun ne le sait. Ils continuent de jouer la comédie mais ça ne marche pas avec moi. Plus rien ne fonctionne. Entre Eugène, l'homophobe qui n'as pas hésité à crier son plaisir, Anaïs qui se montre pure mais qui est une véritable libertine, Marianne qui s'imagine une vie sexuelle aussi remplie que la mienne mais qui n'a presque aucune expérience et ce bon vieux Nicolas, j'ai de quoi faire niveau hypocrisie. Je suis même plus honnête qu'eux. Moi, Gabriel, qui ose clamer haut et fort à qui veut l'entendre que je suis bisexuel, que j'ai envie de telles choses, que j'aime faire ça. Peut-être me jalousent-ils ? Qu'est-ce que ça serait drôle si leur merveilleuse après-midi tournait au cauchemar... Je n'ai jamais caché mes pensées les concernant. Ils savent que je ne veux pas être ici. Ils veulent passer du temps avec moi mais je ne le veux pas. Ils veulent s'amuser. Moi aussi. Mais celui qui rire, ce sera moi.

          On est assis en cercle sur la nappe, Nicolas à ma droite et Marianne à ma gauche. Le vide est derrière moi donc je n'ai pas droit à la vue spectaculaire qui m'a fait grimper cette montagne. Il commence d'ailleurs à pleuvoir, comme je l'avais dit. On aura du mal à redescendre mais ça ne semble pas gêner le reste du groupe qui continue de rire et à passer du bon temps ensemble. C'est ridicule. Je vois en plus Eugène qui empoigne les épaules de Marianne d'un geste qui se veut amoureux. Son regard croise le mien et je ne m'empêcher de le taquiner. Je lui adresse un clin d'œil et me mords la lèvre inférieure. Ses joues s'empourprent aussitôt. Je sens que je vais m'amuser. Les gestes, les regards, les caresses et les baisers se perdent. Ils sont tous embarrassés mais parviennent à le cacher devant les autres. Je suis le seul qui vois clair dans leur jeu. Mais eux ne me remarquent pas, donc autant continuer.

          Avec la pluie, mon T-shirt est devenu mouillé. Je joue de ma musculature apparente devant Anaïs. Elle rougit mais continue de me fixer. Elle a toujours été joueuse. Et elle veut me suivre. Je veux donc aller plus loin mais je sens la main de Nicolas sur mon bras. Il m'a cramé. Il m'a vu en train de draguer sa femme. Je m'attends presque à recevoir un coup, mais il me demande seulement ce que je suis en train de faire. Son ton est agressif et possessif. S'il savait... Je ne peux m'empêcher, encore une fois, de jouer. Je regarde donc tour à tour chaque personne et réponds doucement qu'ils devraient connaître la réponse. Marianne s'énerve alors, comprenant aussitôt que son mari l'a trompé avec moi. Nicolas comprend aussi, ainsi que les deux autres. Ils commencent à me disputer, me reprochant d'être moi-même. Ils n'ont toujours pas saisi. Ils pensent seulement que je les drague et m'amuse. Mais rien de ce qu'ils crachent ne m'atteignent. Ils m'insultent et enfin, je sors ce que j'avais à dire depuis le début : J'ai couché avec chacun d'eux.

          Leur visage se décompose. Anaïs est la première à réagir. Elle se lève, agacée, et dit qu'elle est déçue. Elle continue à jouer la jeune fille pure et innocente. Je n'hésite pas à insister : c'est la personne la plus ouverte que j'ai connue. Cette parole, en plus de choquer les trois autres, n'a pas l'air de lui plaire. J'ai gâché le pique-nique mais j'en suis fier. Mon sourire ne me quitte pas. Anaïs est énervée comme jamais et s'empresse de prendre ses affaires pour partir le plus rapidement possible. Mais il pleut. Et dans sa hâte, elle glisse. Le vide est derrière nous. On a à peine le temps de crier qu'elle a disparu. Mon sourire s'efface, je ne rigole plus.

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