Mort au combat

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Un an que tu étais parti loin de ta famille. Une année où tu as affronté l'enfer de la guerre, les balles qui sifflaient à tes oreilles, le chant des obus au-dessus de ta tête. Une semaine que l'on savait que tu allais bientôt rentrer. Mais tout a basculé, lorsque tu as vu cette petite fille. Elle était à peine âgée de cinq ans, elle se tenait debout à quelques centaines de mètres devant toi.

Elle pleurait, elle hurlait. Ton cœur a été touché, ta générosité a fait que tu t'es précipité à son secours. Mais l'ennemi n'attendait que cela. Tapis dans l'ombre, guettant ton humanité qui ressurgirait. Tu baissais ta garde. Et cela te coûta la vie. Tu as couru vers cet enfant, ton corps faisant rempart pour elle. Tes coéquipiers ont tiré pour t'aider, mais c'était trop tard. Car déjà, la vie te quittait.

À l'abri des coups de feu, caché derrière un mur de pierre, la fillette s'est tournée vers toi qui agonisait lentement. Elle t'a regardé de ses grands yeux gris dont des larmes perlaient le long de ses joues sales.


- Pourquoi ? T'avait-elle dit de sa voix enfantine. L'incompréhension et la peur se mêlaient dans son regard innocent. Tu lui as pris la main. Lentement, un sourire s'est dessiné sur ton visage.

- Parce que tu mérites de vivre une longue vie pleine d'amour et de paix. Tu ne mérites pas de vivre ces horreurs... Lui as-tu répondu avant que la vie ne te quitte.


Tu t'étais sacrifié pour laisser une chance à une gamine que tu ne connaissais pas de vivre dans un monde de paix et d'amour. Cette petite fille était la seule rescapée de sa famille, abattue par les mêmes hommes qui t'avaient tué. Tes coéquipiers l'ont emmené et toi aussi. Ils vous ont rapatriés en France, près de ta famille. Le long du trajet qui vous menait dans ce pays de paix, elle n'a pas dit un mot.

Elle avait perdu sa famille, et à cause d'elle, ta famille t'avait perdu. Arrivée en France, elle a vu ta famille pleurer, effondrée et son sentiment de malaise s'est accru. Ta femme, des larmes pleins les yeux, portant un bébé, tandis que l'autre dormait paisiblement dans la poussette. Tu ne les connaîtras jamais. Elle s'est tournée vers l'enfant et sans un mot, elle l'a prise dans ses bras. Elle lui a murmuré de doux mots pour l'apaiser, la rassurer.

L'orpheline a été adoptée par ta femme. Elle fut l'aînée de jumeaux. Tes enfants que tu n'auras jamais la chance de serrer dans tes bras. Mais tu veilles sur eux, de là où tu es, n'est-ce pas ? Tu vois ce que ta femme fait chaque jour pour élever et aimer tes enfants et cette petite fille que tu as sauvés. Les années passent, la gamine grandit.

Elle demande à sa mère où est son papa. Et tu vois la tristesse dans le regard de ta femme. Parce que, comment expliquer à une enfant que sa famille a été tuée, qu'elle ne la reverra jamais plus ? Comment lui expliquer que ton mari a donné sa vie pour sauver la sienne ? Comment lui faire comprendre qu'elle n'y est pour rien, que ce n'est pas de sa faute ?

La guerre a cessé depuis plusieurs années maintenant. La paix est revenue. La demoiselle a bien grandi. Elle a quinze ans. Elle sait la vérité et elle ne peut s'empêcher de s'en vouloir. Elle voudrait mourir et que tu reviennes auprès de ta famille.


Mais elle se souvient de ces mots que tu lui as dit. Alors, seule, dans sa chambre, elle pleure, son âme saigne et son cœur crie à l'injustice. Elle n'aborde plus le sujet du mari de sa maman. Elle voit que malgré les années, la douleur est toujours là, présente. Elle voudrait la soulager, mais indirectement, elle se sent la cause de tout cela et cela lui pèse.

Elle n'a pas beaucoup d'amis à l'école, car sa vision du Monde a changé. Il a changé, lorsque tu as rejoint la mort pour la protéger. Elle ne comprend pas certaines futilités des gens de son âge. Leurs petits problèmes de savoir pourquoi untel ne lui répond pas ou pourquoi machin a tel truc et pas elle. Elle se sent loin de cela, elle se sent lasse et vieille.

Elle cherche sa voie, mais elle ne la trouve pas. Elle voudrait trouver quelque chose d'utile à faire, pouvoir aider les gens, comme tu l'avais fait pour elle. Et puis un jour, c'est le déclic.


- Je veux entrer dans l'armée, maman. Je veux aider les gens. Je veux être comme papa. Fit-elle à sa mère alors qu'elle n'a que 17 ans.

Sa mère la prit dans ses bras, les larmes coulant sur ses joues. Elle avait peur pour sa fille, peur qu'il lui arrive malheur. Elle ne voulait pas la perdre, alors qu'elle t'avais perdu. L'armée lui avait enlevé l'homme qu'elle aimait, elle lui avait enlevé le père de ses enfants. Elle n'allait pas lui prendre son adolescente aussi ?

Mais elle ne voulait pas non plus être un frein pour elle. Sa gamine voulait aider les autres, elle avait aussi bon cœur et était aussi généreuse que son père, bien qu'ils ne soient pas ses vrais parents.


Recommandation de l'auteur : Si vous souhaitez vous mettre dans la même ambiance que quand j'ai écris cette mini-nouvelle, je vous conseille d'écouter cette musique : 

L'amour n'a pas de prixOù les histoires vivent. Découvrez maintenant