Deuxième partie

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Les larmes laissèrent place à un sourire éclatant sur le visage du petit garçon. Cette frimousse réchauffa le cœur de l'homme usé par le travail. Il retrouva aussitôt foi en son art et sa motivation était plus forte que jamais. Cependant, le bonheur disparut rapidement du visage de l'enfant.

« Je vais devoir payer beaucoup ? » s'inquiéta-t-il.

L'artisan sourit, amusé de cette question. Il était le premier à la lui poser. Auparavant, personne ne s'était soucié du prix, bien trop occupé à rêver de souvenirs trop longtemps enfouis. Pas un seul instant le vieillard n'avait pensé à demander une compensation pour son travail. Le bonheur qui se lisait sur le visage des personnes qui venaient le voir lui suffisait amplement, car il était communicatif. Lorsqu'un visiteur souriait, son sourire pénétrait son cœur et son corps tout entier se réchauffait. Il caressa la tête du petit garçon et lui dit doucement :

« Je ne demande rien, simplement que tu sois heureux ».

L'enfant le regarda, se demandant quel genre d'homme acceptait de travailler sans salaire en retour. Malgré son jeune âge, il comprenait que la tâche de l'artisan était quelque chose de fastidieux et de conséquent. Il l'avait compris en voyant l'état des mains de l'homme et les traits tirés de son visage. En effet, ces dernières étaient calleuses et très sèches. Des petites coupures parcouraient ses doigts, et ses ongles étaient noirs de saleté. Le garçon ressentit un profond respect pour cet inconnu, qui s'apprêtait à faire tout son possible pour voir un sourire s'afficher sur son visage...

« Tu pourras venir demain. » lui annonça l'artisan. « Ce sera prêt. »

Le petit garçon remercia l'homme qui allait faire de lui l'enfant le plus heureux du monde pendant quelques minutes. Il avait conscience que cet instant de bonheur serait court, et qu'il laisserait rapidement place à la tristesse... Mais il préférait connaître cet état de plénitude pendant quelques minutes, plutôt que de vivre dans la solitude et le souvenir durant le reste de sa vie. Après la disparition de sa mère, il avait dû grandir rapidement. Il savait qu'il était très mâture pour son jeune âge, mais lui aussi voulait encore vivre dans la joie et l'insouciance de l'enfance et cet homme, qui savait fabriquer des masques magiques, pouvait lui permettre de redevenir ce petit garçon qui aimait les choses simples de la vie. Il sortit donc de la boutique, la tête pleine d'espoir.

Une fois l'enfant parti, l'artisan se mit immédiatement au travail. Il se rendit dans son atelier, cet endroit qu'il affectionnait tant, car il lui permettait de rendre les gens heureux. Malgré le nombre d'objets qui s'empilait de part et d'autre de la pièce, il y faisait bon vivre. Le vieil homme s'installa à son établi et se mit à la tâche.

Le lendemain, quand l'enfant revint dans la boutique, il avait le cœur léger. Impatient, il se dirigea vers le comptoir. Le vieil homme apparut et lui sourit. Il tenait dans ses mains un très beau masque. Lorsqu'il lui tendit, le petit garçon s'attarda sur les détails, il n'en croyait pas ses yeux ! L'objet qu'il tenait dans les mains était entièrement fait de pain d'épice. Des pépites de chocolats étaient disposées asymétriquement autour des yeux et des bonbons roses ornaient le tout. L'enfant respira un bon coup et sentit l'odeur des gâteaux. Il resta un moment à contempler cette œuvre des plus uniques, ne sachant que faire. Le doute commença à s'installer en lui. Cet objet pouvait-il vraiment l'amener dans la boulangerie de sa Maman ? Et l'homme qui se tenait en face de lui, ne riait-il pas intérieurement, attendant avec impatience sa réaction quand il se rendrait compte que la magie n'existait pas ?

« Vas-y, je t'en prie. » lui dit le vieil homme.

Le petit garçon voulait en avoir le cœur net, même s'il devait essuyer une humiliation. Après tout, il n'avait plus rien à perdre. Il plaça donc le masque sur son visage et chercha la ficelle pour le maintenir autour de sa tête, mais il n'en trouva pas. Il ne savait pas comment, mais le masque tenait tout seul sur son visage. L'enfant ferma les yeux et quand il les ouvrit de nouveau, il fut ébahi. Tout autour de lui se trouvaient des gâteaux plus alléchants les uns que les autres. Il tourna la tête et reconnut immédiatement la spécialité de sa Maman, la pâtisserie qu'il adorait tant, fourrée au Spéculos et enrobée de chocolat. Il se mit à courir à travers la cuisine, riant à gorge déployée. Il traversa la rangée des croissants, puis celle des confiseries, s'attardant devant les fours chauds pour respirer l'odeur du pain en train de cuire. Pour la première fois depuis longtemps, il se sentait bien et en sécurité. Une sérénité totale l'envahit. Il la laissa prendre possession de lui, profitant de ce moment d'insouciance. Mais rapidement, il commença à chanceler, ne voyant plus les baguettes exposées. Le carrelage sous ses pieds disparut pour laisser place au néant. Le petit garçon comprit que le rêve prenait fin. Il ferma alors les yeux et essaya de capturer l'image de son paradis une dernière fois et de l'ancrer dans son esprit. Quand il se décida à ouvrir les paupières, il était à nouveau dans le magasin de masques. L'enfant soupira et retira doucement l'œuvre du vieil homme de son visage. Il admira une dernière fois l'objet qui lui avait permis de revivre et le retourna, remarquant une petite écriture dorée en italique. Les mots « Revenir dans la boulangerie de Maman » y étaient inscrits. Le petit était pourtant certain que cette phrase n'existait pas avant d'avoir mis le masque. Il n'essaya pas de comprendre car ici, tout, relevait de la magie, il l'avait enfin compris. Il reposa le masque sur le comptoir en soupirant et remercia une dernière fois le vieil homme, en lui offrant son plus beau sourire. L'artisan fut heureux de voir le bonheur sur le visage de l'enfant. Ce dernier se dirigea vers la sortie. En ouvrant la porte, il se retourna une dernière fois et dit d'une voix amusée :

« Vous savez Monsieur, le masque que vous portez est le plus beau de tous. »

Le modeleur de rêves [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant