À TRAVERS SES YEUX [Tome 1: Cheval d'espoir]

4. Insouciant

Un van se gara dans l'allée du centre-équestre en faisant crisser ses pneus sur le gravier. Steve sortit de la voiture et pénétra dans la cour encore plongée dans le noir. Une jeune femme accourut immédiatement, plusieurs licols dans la main.

-C'est pas trop tôt ! hurla-t-elle. Encore un peu et on était en retard pour le concours!

Steve marmonna quelque chose et ouvrit le van.

Dans l'écurie, Amy mettait sa couverture et ses guêtres de transport à une jument. Elle la sortit dans l'allée, ses sabots ferrés claquant sur les dalles. La lune brillait dans le ciel, il n'était que sept heures du matin et il faisait encore très frais. Amy était emmitouflée dans une énorme doudoune bleue marine, une longue écharpe en laine grise, portait des moufles roses bonbon et malgré cela et le printemps qui était arrivé, elle avait le bout du nez tout rouge. Elle fit monter la jument dans le van deux places et retourna chercher le poney qui l'accompagnait.

Amy adorait les matins qui précédaient les concours. S'occuper des chevaux, ranger le matériel, préparer le transport... Elle trouvait l'ambiance géniale, même si se lever à six heures du matin n'allait pas à tout le monde! Elle aimait cette atmosphère emplie d'excitation, l'odeur du foin qu'on charge dans le camion, des bottes cirées, de l'herbe humide de rosée... Souvent, elle ne concourrait pas mais jouait plutôt le groom auprès des cavaliers, et ça lui plaisait très bien comme ça !

Huit heures quinze, les quatre chevaux étaient chargés dans le camion et le van, le matériel était stocké à l'arrière du camion avec les bidons d'eau, les pique-niques dans le coffre, l'équipement des cavaliers sur les couchettes, les filets à foins avec les chevaux et tout le monde était prêt à partir. Les deux véhicules démarrèrent et sortirent de la cour. Il fallait quarante-cinq minutes pour atteindre le terrain de concours et il fallait passer par l'autoroute pendant une dizaine de minutes.

Amy, qui était dans le camion, était accoudée à la fenêtre et regardait la route. Clotilde, sa meilleure amie au club et bien la seule, était assise à côté d'elle.

Clotilde et elle s'étaient rencontrées deux années auparavant, durant un stage d'été à l'ancien club d'Amy. Elles se voyaient rarement, mais étant donné que le père de Clotilde était militaire, ils changeaient souvent de ville et les deux amies avaient la chance de vivre à moins d'un pâté de maison l'une de l'autre.

Le camion était derrière le van, conduit par Mégane, qui s'ébranlait parfois lorsqu'il rencontrait un nid-de-poule. Devant eux, le soleil se levait tout juste, éclairant le ciel d'une lueur rosée. Pour un dimanche matin, Amy trouvait qu'il y avait beaucoup de monde sur l'autoroute et cela ne lui disait rien qui vaille. Ils parvinrent enfin à s'extirper de la foule de voitures pour prendre la bretelle de sortie.

Alors que les deux véhicules prenaient un virage serré, les chevaux se mirent à bouger dans le van. De sa place, Amy vit ce dernier s'ébranler à tel point qu'il bascula légèrement à l'extérieur. Ce fut juste à ce moment-là que le soleil émergea en face d'eux. Amy ne savait pas si Mégane avait été aveuglée ou avait eu peur, mais ce qui était sûr, c'est que la voiture fit une violente embardée et le van bascula dans le fossé.

* * *

Amy était allongée sur la banquette arrière, la jambe coincée entre une boîte de pansage et... un corps ???

Elle se redressa brusquement et regarda par terre. Clotilde était étalée de tout son long et pestait.

-Clo... ça va ? demanda Amy en se massant l'arrière de la tête.

Elle n'attendit pas de réponse et regarda autour d'elle.

Le camion était penché, la roue avant gauche étant au-dessus du fossé. Le van renversé gisait dans ce même fossé et Amy sentit son cœur se déchirer en entendant les hennissements paniqués des chevaux qui étaient à l'intérieur. La voiture leur barrait la route, tout le monde était sorti et Amy et Clotilde s'empressèrent de faire de même.

Deux cavaliers étaient à l'arrière du camion et tentaient de calmer les chevaux complètement fous, tirant sur la longe et ruant parfois. Une autre voiture était garée près d'eux, Steve et un homme qu'Amy ne connaissait pas - sans doute le propriétaire de la voiture - essayaient d'ouvrir la porte du van qui était bloquée, les chevaux coincés à l'intérieur.

-J'ai peur qu'ils se blessent, confia Steve à Mégane.

Clotilde et Amy se proposèrent alors pour entrer dans le van et rassurer les chevaux. Vu la position de la remorque, elles étaient les seules assez petites pour pouvoir passer.

S'efforçant de ne pas céder à la panique, Amy ouvrit difficilement la porte et tomba sur la jument terrorisée. Amy se glissa à l'intérieur en prenant garde à ne pas se prendre un coup et saisit le licol d'Altesse.

-Chuuut, ça va, oooh... murmura-t-elle.

Elle caressa doucement le chanfrein de la jument et petit-à-petit, la fit avancer vers elle. C'était relativement difficile car le van étant basculé vers l'arrière, les chevaux glissaient eux aussi.

Heureusement qu'ils ont leurs protections de transport, pensa Amy. Sinon, ils se seraient blessés avec la barre de queue et la porte.

De l'autre côté, Clotilde faisait de même et murmurait des paroles rassurantes au poney.

-Les filles, ne bougez pas, la dépanneuse va tirer le van !

Amy lança un regard inquiet à Clotilde et s'accrocha à la poignée au-dessus de sa tête. Elle sentit qu'on décrochait la voiture du van et que quelque chose d'autre s'y était attaché. Soudain, le van fut tiré en avant, les roues arrières touchèrent de nouveau le sol et Steve put ouvrir la rampe. Clotilde et Amy sortirent avec les chevaux et rejoignirent précautionneusement le groupe.

Une file de voiture était arrêtée derrière le camion. La plupart des gens étaient sortis et applaudissaient, certains filmaient. Gênée, Amy se cacha derrière Altesse.

-Bon, fit Mégane alors que la route fut dégagée et la foule dissipée. La voiture est morte et on a un pneu qui a éclaté. Le temps de réparer tout ça, l'heure aura tourné et il faut qu'on rentre au club. Tant pis pour le concours.

Tout le monde hocha la tête sans rien dire, encore sous le choc.

-Le camion peut tirer le van, donc Steve, tu vas conduire comme prévu pour faire rentrer tout le monde au club. L'homme là-bas nous a proposé de nous emmener, moi et ceux qui restent, jusqu'au club. Il est du milieu équestre donc il connaît un peu ce genre de mésaventure. Ensuite, je retournerai ici pour m'occuper de la voiture.

Les cavaliers s'activèrent à ranger ce qui était tombé et à rentrer les chevaux puis ils se dépêchèrent de retourner au club.

* * *

Amy soupira et s'affala dans le canapé du club-house. Elle était fatiguée, tous ses muscles la faisaient souffrir et elle avait mal partout. Après un déjeuner avalé en hâte, le groupe s'occupait maintenant de la cavalerie.

-Amyyy ? appela Steve alors qu'il s'occupait des cavaliers les plus jeunes .

-Oui ?

-T'as un peu de temps cette semaine ? Ce serait pour t'occuper d'Altesse et la désensibiliser de nouveau. Elle a eu un choc émotionnel assez violent lors de l'accident, donc ça pourrait être cool de la ré-habituer.

Amy accepta avec joie et ramena Altesse dans son pré en attendant de venir la voir le lendemain. Sur le chemin, cependant, son esprit était attiré par un tout autre cheval. Un cheval bien plus fougueux, bien plus sauvage. Elle rentra la jument dans le pré, fit une caresse à Caspian qui était également dans la même pâture et s'en alla.

L'esprit complètement ailleurs, ses pas la menèrent au pré de Hanya. Elle s'appuya contre la barrière en regardant le cheval bai brouter tranquillement.

-Tu es libre, hein ? souffla-t-telle. Tu ne te soucies pas des autres... Mais qu'est-ce qu'il t'es arrivé pour que tu sois aussi indomptable ? Qu'est-ce qu'on t'a fait subir ?