Chapitre 2

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Cinq jours après la fracassante révélation d'Issan, tout s'était effondré : Suzy et Nico ne s'adressaient plus la parole, Andy avait troqué ses lunettes de soleil pour un vieux bob particulièrement laid, Martine avait arrêté de se maquiller comme une dévergondée et Amadeus avait fait adopter Mozart. Bref, plus rien n'allait.

Issan s'était enfermé chez lui. Ses cheveux étaient gras, sa mine basse et ses ongles sales. Il ne se laissait jamais aller de la sorte, et pourtant, il ne pouvait s'empêcher de se négliger, de se flageller, de se noyer dans les remords. Il avait tout de même fait pleurer Ned. Et personne ne faisait pleurer Ned, surtout pas lui.

Ned, plus que quiconque, était son meilleur ami. Il appréciait parfois la bêtise de Suzy, l'intelligence de Nico, le sourire charmeur d'Andy, les robes colorées de Martine et les poèmes émouvants d'Amadeus. Mais ce qui lui plaisait le plus, au milieu de toute cette bande de joyeux phénomènes, c'était le constant sourire qui ornait les lèvres de Ned.

Ned était un passionné de la vie, un amoureux de la joie. Il était né pour être heureux et Issan l'avait privé de ce bonheur. Il devait trouver un moyen de réparer sa faute. De plus, si Ned n'avait pas pleuré, personne ne se serait jamais disputé. Ils auraient mis leurs cerveaux en commun pour trouver une solution à ce fâcheux désagrément. Peut-être était-ce encore possible. Il devait donc redonner à Ned l'envie de sourire.

Seulement, Issan ne savait pas comment faire.

Il jeta un regard las vers le miroir qui trônait en face de son canapé. Son état faisait peur à voir et si Ned le voyait ainsi, il plongerait certainement dans une profonde déprime. Issan se leva donc et se résolut à prendre une douche.

L'eau chaude, l'odeur du savon au cookie, la buée dans la pièce, les dessins sur la vitre, la chaleur suffocante.

Issan sortit tout propre, frais et pimpant comme une glace sortant du congélateur. La serviette autour de la taille, il attrapa son téléphone dans l'optique d'envoyer un message à Ned avant de se raviser.

Et si son ami ne souhaitait plus le voir ? Et s'il le détestait pour avoir trahi sa confiance ? Jamais il n'accepterait de lui parler.

Tant pis. Issan ne lui laisserait pas le choix et s'imposerait à lui.

Issan ouvrit la porte et frissonna en sentant l'air frais du reste de la maison lui fouetter le visage. Il détestait sortir de sa salle de bain. Le brusque changement de température était absolument insupportable.

Une bonne demie-heure plus tard, Issan était habillé, tout beau, tout coiffé, et s'apprêtait à toquer à la porte de Ned. Sa main s'abattit souplement sur le bois peint et un "entrez" se fit entendre. Alors, Issan entra.

L'appartement de Ned était sombre, les volets fermés claquaient sous les assauts du vent de février. Des grincements peu rassurants se faisaient entendre de toutes parts. La porte se referma en un claquement sonore qui fit sursauter Issan.

Celui-ci reprit rapidement contenance, et commença à explorer l'appartement à la recherche de son ami. Il se sentait un peu comme dans ces maisons hantées que lui et sa bande d'amis avaient l'habitude de visiter en riant ou en frissonnant. Il s'attendait même à sentir une main étrangère se poser sur son épaule ou à voir une araignée surgir sous son nez.

La lumière lui brûla soudainement la rétine et il grogna. Ned avait allumé la lumière.

- Qu'est-ce que tu fais là ? Demanda celui-ci d'une voix particulièrement dénuée d'émotion.

- Je veux réparer ma faute, répondit Issan en combattant le mal causé par cette ampoule démoniaque.

Ned cligna des yeux une fois, puis une deuxième fois. Issan remarqua qu'il était encore en pyjama alors que les seize heures avaient sonné depuis un bout de temps.

- Il fallait y penser avant de me faire ça, répliqua Ned en retournant s'asseoir dans son canapé. Comment as-tu pu ? Je te faisais confiance. Je pensais que tu étais mon ami... notre ami.

Issan baissa la tête honteusement. Il s'avança doucement avant de s'asseoir aux côtés de Ned. Un long silence s'ensuivit, un silence digne d'un cimetière et personne n'aurait été étonné d'entendre de sinistres corbeaux croasser.

- Je sais que c'est ton plat préféré, murmura finalement Issan. Je sais à quel point la nourriture est sacrée pour toi et que tu ne peux concevoir que quelqu'un n'apprécie pas la raclette. C'est pour ça que je veux m'excuser. Peut-être... Peut-être que l'on pourrait trouver un compromis ?

- A quoi penses-tu ? S'enquit Ned d'une voix pourtant distante.

Ses yeux restaient résolument fixés sur l'écran éteint de sa télévision. Il ne voulait pas regarder Issan et il ne voulait surtout pas voir ses pupilles remplies de culpabilité.

- Je n'ai pas vraiment d'idée, avoua Issan, gêné. Je pensais que tu m'en donnerais une.

- Et bien non. Je n'ai pas d'idée et je ne veux pas en trouver. Tu m'as déçu, Issan. Tu aurais pu me le dire, je t'aurais aidé. Mais tu as préféré tout garder pour toi, et bien maintenant débrouille toi.

Ned croisa les bras et Issan sut qu'il n'obtiendrait rien de plus. Pourtant, une dernière parole vint briser tous ses espoirs de réconciliation.

- Tu as tout gâcher, Issan. Tu as fichu le bazar avec tes révélations. On avait tous confiance en toi. J'avais confiance en toi. Mais c'est fini désormais.

Ned soupira et ferma les yeux. Issan ne put s'empêcher de le trouver incroyablement beau avec cet air détaché et indifférent. Pourtant, c'était une mine qu'il arborait presque constamment, parfois ponctuée d'un sourire, certes, mais toujours lointain. Il ressemblait à un prince froid et inatteignable, à un rêve voué à ne jamais se réaliser.

Alors c'est tout ? C'est la fin ? Pensa Issan en se levant. Notre amitié à tous est-elle définitivement morte, elle qui dure depuis dix ans ? Je ne peux pas y croire.

Issan sut alors ce qu'il devait faire. S'il ne pouvait pas réparer sa faute auprès de Ned, alors il ressouderait le groupe. Il réparerait chacun des problèmes qu'il avait engendré, il regagnerait la confiance de Suzy, de Nico, d'Andy, de Martine, d'Amadeus. Et alors, peut-être que Ned le pardonnerait également. Si tout redevenait comme avant, Ned l'excuserait peut-être. Et alors ils pourraient trouver une solution, tous ensemble, comme au bon vieux temps - vieux temps qui ne remontait qu'à cinq jours plus tôt, soit dit en passant.

Une nouvelle détermination naquit dans les prunelles d'Issan. Il avait trouvé la solution et il devait maintenant trouver un plan.

Il sortit de l'appartement de Ned et reprit la route pour se rendre chez lui. Il en profita pour faire une liste de ce qu'il devait faire.

- Trouver un moyen de réconcilier Suzy et Nico, énonça-t-il à haute voix, s'attirant alors un regard effrayé d'une vieille dame qui passait par là. Faire jeter cet horrible bob à Andy. Barbouiller Martine de rouge à lèvres et de mascara. Retrouver Mozart et le donner à Amadeus. Facile.

Issan ne se doutait pas de la galère dans laquelle il s'était embarqué. 

Fondante déceptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant