1 Heure

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Je reprends lentement mes esprits. J'ai l'impression d'avoir fait un cauchemar : j'ai rêvé que nous avions retrouvé Abigaël crucifiée sur la paroi de la cabane, le corps couvert de coupures. Au fur et à mesure que les flashs se précisent je comprends que ce n'était pas un cauchemar. J'éclate en sanglots. La réalité me déchire: je viens de perdre une de mes amies les plus chère sans avoir rien pu faire. J'ai juste envie de me recroqueviller et de pleurer, indéfiniment, oubliant tout. Mais je ne peux pas me le permettre. Je me lève, descends les escaliers, pensant trouver tout le monde dans la pièce du rez-de -chaussé qui fait office de salon mais il n'y a personne. Je sors de la cabane, et ne trouvant personne je commence à m'inquiéter. La nuit est bien installée, je me demande quelle heure il doit être. Je fais le tour de la cabane, en appelant Bastien et je les trouve tous regroupé autour d'un monticule de terre fraîchement retournée. Je comprends qu'ils ont enterré Abigaël mais je ne saisis pas pourquoi. Ils auraient dû appeler la police ou les urgences ou nos parents, n'importe qui qui aurait pu nous aider. Comme dans un rêve je m'approche du groupe, refusant d'admettre que sous ce tas de terre se trouve mon amie sans vie. Clément et Bastien me font une place entre eux, ce dernier enveloppant mes épaules de son bras. Après plusieurs minutes de silence, je regarde mes amis, qui ont tous les larmes aux yeux.

"- Pourquoi vous l'avez enterrée? Vous auriez dû appeler la police ou nos parents?
- On ne peut pas, il n'y a pas de réseau et avec un tueur aux alentours on ne voulait pas se séparer. Me répond Rachel
- Pourtant nous en avions tout à l'heure, on arrivait bien à appeler Abi. Je lui fais remarquer."
Rachel hausse les épaules, comme si elle souhaitait mettre un terme à cette conversation.
"- Peut-être qu'il utilise un brouilleur."
On se tourne tous vivement vers Benoît, doutant même que ce soit lui qui ai parlé. Il a le regard perdu dans le vide, une grande fatigue tire ses traits et ses yeux verts sont brillant de chagrin. Clément lui prend la main, l'encourageant par ce contact à développer sa pensée. Ce contact semble ramener Benoit à la réalité et il réalise que tout le monde le regarde, attentif.
- Hum, je me disais que peut-être il avait installé un brouilleur mais je me trompe sûrement.
- Pourquoi tu dis ça? Lui demande doucement Clément. Ton idée n'est pas idiote.
- Parce que si mon hypothèse est bonne ça vaudra dire qu'Abigaël n'était pas la seule visée."

Nous réalisons ce que vient de suggérer Benoît. S'il a bien raison alors nous sommes loin de tout, enfermé dans une cage invisible de peur et de brouillage téléphonique, servant de gibier à un chasseur qui ne cherche qu'à assouvir son plaisir de torture et de mort. Nos regards se tournent tous vers la tombe d'Abigaël avec la pensée égoïste de ne pas vouloir finir à ses côtés.

Après plusieurs minutes de recueillement nous retournons tous dans la cabane. Bien que nous soyons coupés du monde, il nous reste quand même nos affaires et les provisions que nous avions amené. Clément se met à faire du café pour nous réchauffer et nous discutons des alternatives qui s'offrent à nous. Rester enfermé ou fuir.

"- Dans tout les cas si l'on sort c'est à plusieurs, personne ne sort seul et sans prévenir les autres. Je lance.
- Elle a raison, rester enfermé va nous rendre fous donc il faudra bien qu'on sorte mais en groupe. Me soutient Bastien"
Tous acquiescent, d'accord avec nous. 

"- Maintenant il faut qu'on mange et qu'on essaye de dormir un peu, leur conseillais-je
- Il vaut mieux que nous ne dormions pas tous en même temps, nous dit Benoît.
- Tu as raison, je lui réponds, faisons des rondes, on organisera ça après avoir grignoté. Où sont les provisions?
- Je vais les chercher mais je n'ai pas très faim personnellement , nous dit Rachel en allant chercher un sac de provisions.
- Je me doute Rachel mais il faut vraiment que tu manges un peu, la convainc Thibaut"

Elle hausse les épaules en commençant de vider le sac. Personne n'a le moral mais nous ne devons pas nous laisser envahir par la peur du tueur, nous ne devons pas laisser son emprise nous paralyser. Chacun prend de quoi grignoter, peu importe ce que c'est du moment que ça se mange. Rachel se saisit de la boite de brownies que je zyeutais.
"Tiens quelqu'un c'est déjà lâché sur la boîte." dit-elle en sortant la dernière part. Elle la déballe et commence à la manger, d'abord avec réticence puis en quelques bouchées le gâteau disparaît. Quelques sourires passent sur nos visages bien qu'ils disparaissent rapidement, un sentiment de culpabilité venant le remplacer. De quel droit sourions-nous, ressentons-nous un peu de joie alors que notre amie vient de se faire assassiner?

Une fois que chacun a finit de grignoter nous décidons des tours de garde : Moi, Rachel et Bastien garderons la cabane pendant que Clément, Benoît et Thibaut dormiront et puis dans 3h nous changerons. Les trois garçons montent se coucher en nous promettant de les appeler si jamais il se passait quoi que se soit. Nous les rassurons, puis une fois nos amis couchés, nous nous regardons tout les trois, indécis. Un rire nerveux commence de nous saisir, gênés que nous sommes de la situation. Je vais finalement me caler dans les bras de Bastien ,sur le canapé, tandis que Rachel va se réfugier dans un fauteuil, un livre à la main. Nous savons tout les trois que lire ne lui fera rien oublier mais peut-être que cela lui permettra de changer d'univers pendant ces 3 heures. Bastien et moi commençons à discuter à voix basse pour ne déranger personne.

Au bout de 30 minutes, nous entendons Rachel gémir. Elle c'était endormie quelques minutes plus tôt et nous l'avions laissé se reposer, conscients que le choc émotionnel avait dû la vider de ses forces. Je me lève et commence à essayer de la réveiller, la croyant en proie à quelques cauchemars horribles. Elle ouvre soudain grand les yeux, me regarde : "Je vais vomir." et se précipite dehors. Benoît se redresse, prés à la suivre, mais je l'arrête : "Elle ne se sent pas bien, laissons lui un peu de temps. Je vais attendre près de la porte d'entrée."
Je me cale contre le montant de la porte et m'assure d'entendre mon amie. Au bout d'un petit moment je n'entends plus rien, même plus ses sanglots, et pourtant je ne l'entends ni ne la voit revenir. Je décide de lui laisser quand même quelques minutes de répit mais ne la voyant toujours pas revenir je préviens Benoît que je vais voir comment va Rachel. Son regard devient inquiet mais je n'en tiens pas garde et m'enfonce dans l'obscurité entourant la cabane en restant cependant aux bords des murs. Finalement je la trouve recroquevillée dans un coin, calme. Je m'approche doucement d'elle en lui parlant et pose ma main sur son épaule. Le corps de Rachel s'affaisse alors et finit par s'étendre de tout son long sur le côté.

Je découvre le visage blême de mon amie. Ses yeux vides. Sa bouche et son menton couvert d'écume rouge. Paroxysme de l'horreur : deux triangles entremêlés clos ses lèvres. Mes poumons se vident dans un cri strident.

Le cauchemar continue.

Nuit écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant