2 Heures

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Je hurle à réveiller les morts, figée devant cette vision d'horreur : le visage blême de mon amie Rachel, les yeux écarquillés, livides, l'écume aux lèvres, écarlate. Bastien arrive derrière moi, paniqué de savoir pourquoi je crie. Je me réfugie dans ses bras, en larmes. Il me serre, horrifié par la vision de mort que lui aussi découvre. Nous entendons des pas précipités se diriger vers nous. Thibault découvre le corps sans vie de la fille qui aime. Ses yeux verts se remplissent de larmes alors qu'il tombe à genoux, désemparé. Il prend délicatement le corps de Rachel et la sert contre son cœur, ses larmes noyant ses joues. La tête de Rachel pend dans le vide alors que Thibault se balance, enserrant le corps de notre défunte amie, réduit à une poupée de chiffon.  Après Abby voilà que c'est le tour de Rachel. Nous comprenons que cette fois nous sommes bien les proies d'un tueur en série. Mais ce tueur vise-t-il seulement les filles ? ou les garçons sont-ils aussi en danger ? Nichée dans les bras de Bastien, mon cerveau tourne à plein régime. Seule les filles ont été tuée. Suis-je la prochaine sur la liste ? Le tueur est-il quelqu'un de notre connaissance ? Une idée affreuse me traverse l'esprit : serait-il possible que le tueur soit l'un de mes amis ? Non impossible ! Je les connais tous depuis des années. Mais connait-on réellement les personnes qui nous entoure ? Leurs secrets cachés, leurs pensées les plus obscures enfouies dans leur cœur ? Nous ne voyions jamais le vrai visage des personnes qui nous entoure. Nous ne connaissons jamais leur passé, seulement ce que eux décide de nous raconter. En y repensant, que sais-je vraiment de mes amis ? Et même de mon petit-ami ? Bien que liée intimement avec lui, je ne vois de lui seulement la personne qu'il veut paraitre à mes yeux.
Non. Il faut que j'arrête. Ces pensées ne doivent pas m'obséder. Elles ne doivent pas obscurcir mon jugement. Si je commence à me méfier de mes amis, je ne survivrai pas à cette nuit.
Benoît s'approche et pose une main sur l'épaule de Thibault, le sortant de son désespoir. Nous ne devons pas nous éterniser. Nous devons enterrer Rachel et nous réfugier dans la cabane et cette fois ne plus en sortir. Quoiqu'il arrive.

Thibault se lève difficilement, Rachel dans les bras et nous nous dirigeons vers la tombe d'Abigaël, située proche de la forêt. Thibault dépose le corps de notre amie défunte et, avec les pelles qu'a ramené Benoît, nous commençons à creuser à tour de rôles. Une fois la terre ouverte nous restons quelques secondes abasourdis. Nous sommes figé, couvert de terre, assemblé au bord du gouffre béant qui va avaler le corps de notre amie. Encore une fois. Thibault sert Rachel contre lui, ses larmes mouillant ses cheveux, incapable de la lâcher. Clément lui prend le corps des mains, délicatement et, tandis que Benoît s'occupe de supporter Thibault, il le dépose dans la tombe. Chacun lance dans la tombe une fleur trouvé au alentour et lui fait ses derniers adieux puis Benoît et moi refermons la tombe. En quelque minute il ne reste plus du trou et de notre amie qu'un monticule de terre fraichement retournée. Mais cette fois nous sommes tous ensemble pour souhaiter un bon voyage à notre amie, où qu'elle aille.

Alors que nous sommes tous plongé dans nos souvenirs et nos pensées, je sens un courant d'air chaud balayer mes cheveux. Je n'y prête d'abord pas attention mais cela me sort de mes rêverie et c'est alors que j'entends le bruit. Il recouvre presque celui des vagues. On dirait un long gémissement recouvert d'un énormément mugissement. L'air devient carrément brulant alors que je me retourne. Je découvre alors la cabane en feu. Notre seul refuge est entrain de partir en fumée, brulant dans de grandes flammes.
"Euh les gars, vous devriez voir ça..."
Les garçons se retournent et restent aussi bouche bée que moi devant le brasier. Le gémissement du bois qui brule s'accentue jusqu'à devenir un énorme craquement. Nous voyons notre refuge, nos affaires, nos provisions partirent en fumée sans pouvoir rien faire. Ne reste plus que nous et nos lampes torches. Heureusement nous avons tous un pull sur nous et nous avons grignoté il y a environ une heure. Le vent venant de la mer nous amène la chaleur de l'incendie et ses cendres.
"On ne peut pas rester ici, dit Benoît en se dirigeant vers l'orée du bois, il y a peu de chance que le feu atteigne la forêt et de l'autre coté c'est la mer donc il sera éteint. Allons dans la forêt, à l'abri.
- Attends ! Je le rejoins. L'incendie pourrait alerter quelqu'un et les secours pourraient venir nous sauver. En plus dans la forêt nous risquons d'être en danger.
JE risque d'être en danger. Je n'ai pas encore partagé mes peurs aux garçons mais si le tueur s'en prend seulement aux filles j'aimerais éviter de mettre ma vie en danger inutilement.
- Et si on va dans la clairière ? On aura une vue dégagée et on sera pas trop loin donc si les secours arrivent on les entendra. On ne peut pas rester sur la plage.
- D'accord. Va pour la clairière alors."
Nous tournons le dos au feu et nous dirigeons vers les bois. Avant de partir je jette un dernier regard aux tombes de mes amies. Abigaël et Rachel. Soudain ce n'est plus de la tristesse que je ressens mais de la colère.
"Je ferai tout pour vous venger les filles, je vous le promets."
Bastien me prend la main et m'entraîne loin de ces souvenirs joyeux, de ces amitiés indéfectibles, de ces soirées, de ces secrets, de ces regards entre filles. Nous faisions parties d'une bande mais nous trois nous avions notre propre complicité. Je serre la main de Bastien et nous nous enfonçons dans la forêt.

Nous marchons pendant un petit moment avant d'arriver à la clairière. Celle où ce trouve l'arbre creux, celui où nous avions retrouvé le téléphone d'Abigaël. Le piège tendu par le tueur pour nous attirer loin de la cabane et nous empêcher de sauver notre amie. Pour nous empêcher de l'entendre crier, de l'entendre appeler à l'aide. Je déteste cet arbre. Je le hais. Ce n'est pourtant qu'un bout de bois mort, creux, comme mon cœur, qui ne m'a rien fait. Pourtant je déverse contre lui toute la haine que je voudrais déverser contre cet homme qui m'a enlevé les deux amies les plus chères à mon cœur.
Nous nous installons tous en cercle, les lampes au centre. Je me blottis contre Bastien, le froid commençant à me saisir. Je me rends alors compte que Thibault n'est pas assis avec nous. Mon cœur s'accélère.
"- Où est Thibault?
- Il est là-bas. On l'a laissé s'éloigner un peu. Il en avait besoin. Me répond Clément."
Effectivement je vois la silhouette de Thibault plus loin, à l'orée de la clairière, appuyée contre un arbre, les genoux repliés contre sa poitrine. Son ombre est prise de soubresauts et je devine qu'il pleure. Seul dans l'obscurité il pleure la perte de la fille qu'il aime. Je reporte mon regard sur notre groupe puis il se perd dans le vide. Je m'égare dans le dédale de mes pensées, je plonge dans le film de mon passé avec Rachel et Abby, revivant nos rencontres, nos premières sorties, nos délires. Des larmes chaudes roulent sur mes joues. Je me sens vide, ces larmes sont seulement des parts de moi qui s'échappe de mon corps.

Je me souviens. Je me souviens de nos moments seulement nous trois. Je me souviens de ce jour-là. Le jour où nous avions fêté notre bac. Nous avions failli ne pas le faire, Abby ayant dû aller aux rattrapages. Finalement elle l'avait eu et lorsqu'elle nous l'avait annoncé j'avais sauté de joie, heureuse pour elle. Nous avions donc décidé d'aller au restaurant coréen pour fêter l'évènement. Nous fêtions aussi la fin du lycée, la fin de la terminale, d'une année éprouvante. Nous fêtions le début de nouvelles vies, de nouveaux départs. Mais nous ne fêtions pas la fin de notre amitié, au contraire, nos vies allaient prendre des chemins différents certes mais dans la même direction. Je me souviendrai toute ma vie de cette soirée. Nous avions fait les folles sur les quais, ignorant les gens autour de nous et leurs regards. Il y avait juste nous relâchant la pression et profitant d'être ensemble. Une de nos soirées les plus mémorables.
Je me souviens l'anniversaire de Rachel et celui surprise d'Abby.
Je me souviens les sorties en rollers avec Abby.
Je me souviens les après-midi piscine, l'été chez Rachel.
Je me souviens et pourtant je ne souhaite qu'une chose : oublier.

Je reviens sur terre et je jette un œil vers Thibault, inquiète qu'il ne nous ait pas encore rejoint. Pourtant je ne le vois pas près de l'arbre.
"- Les gars, vous savez où est Thibault ?
- Là bas, vers les arbres.. A non en fait."
Benoît se lève, déconcerté et nous l'imitons tous, saisissant nos lampes, nos faisceaux balayant l'orée de la clairière à la recherche du moindre signe de sa présence. Mais nous ne trouvons rien. Pas la moindre trace. Je commence vraiment à paniquer et mes doutes reviennent. Thibault m'a toujours paru être un garçon doux et attentionné et il m'avait semblé réellement bouleversé par la mort de Rachel mais le cerveau humain est tellement complexe et imprévisible.
"Nous devons partir à sa recherche ! Lance Bastien.
- Non attends! Je l'apostrophe. Nous ne devons pas nous séparer !
Est-ce que je leur parle des mes doutes ? Est-ce que j'ai le droit d'insinuer dans leur esprit des doutes sur un de leur meilleur ami ?
Il faut que je vous parle de quelque chose. Avons-nous la certitude de ne pas connaitre le tueur ?
- Tu sous-entends que Thibault serait le tueur ? T'es folle ?! Comment tu peux dire une chose pareille ? s'énerve Bastien
- Je sous-entends que Thibault a disparu alors qu'on avait dit qu'on ne se séparerait pas et que seul des filles sont mortes !
- Mais il était amoureux de Rachel, il n'aurait jamais pu lui faire de mal !
- Pourtant ses lèvres étaient scarifiées, comme un dernier baiser ! Je n'ai pas envie de mourir aussi ! Ma voix se brise.
Les garçons comprennent alors que je suis terrifiée. Ils comprennent ma vision des choses : deux filles sont mortes sur une bande d'amis et il n'en reste plus qu'une : moi.
- D'accord je comprends tes inquiétudes mais si tu as tort nous ne pouvons pas laisser notre ami face au danger. Dit Bastien.
- Nous pouvons nous séparer, nous sommes 4. Benoît et moi pouvons aller à la recherche de Thibault tandis que Bastien et toi vous n'avez qu'à rester là. Propose Clément.
- Pourquoi pas. Mais soyez prudent surtout. Accepte Bastien."

Clément hoche la tête et, accompagné de Benoît, ils s'enfoncent dans l'obscurité des bois, en direction de la cabane. Nous voyions la clarté de leurs lampes danser dans l'obscurité telles des lucioles tandis qu'ils s'éloignent de la clairière.  Bastien entoure mes épaules de son bras et je soupire. Nous espérons tout les deux que nos amis ne vont pas au devant d'un danger macabre.

Nuit écarlateOù les histoires vivent. Découvrez maintenant