Vide.

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Elle mange à la table des populaires
Elle est la reine de son lycée
Ses copines jalousent ses 15k sur insta
Mais elles ne savent pas
Qu'elle se sent seule
Au milieu de la foule
De ce superficiel dont est fait sa vie
Elle met parfois des légendes insolentes sous ses photos
Mais elles sont le plus souvent tristes
Pour qu'on lui demande ce qui ne va pas
Parce que chez elle rien ne va
Mais personne ne lui demande
Elle se sent seule
Au milieu de ses followers
Des ses abonnés
Qui suivent ses pas
Le moindre de ses pas
Mais qui ne savent pas
Qui elle est pour de vrai
Puisqu'elle est faite de marbre
De bronze
Et de métal doré
De sourire toujours scotché au visage
De maquillage
De ce qui la rend plus belle
Ses fringues, sa voiture,
Tous achetés par ses parents qui bossent
Qui font de l'argent autant que possible
Mais qui ne se souviennent jamais de son anniversaire
Qui n'étaient pas là quand elle subissait la méchanceté dont font preuve les enfants entre eux
Quand elle a vécu l'enfer
Mais pas non plus quand elle passait une journée des plus simples
Quand elle tombait de vélo
Quand elle sautait dans l'eau
Ni même quand elle a perdu sa première dent
Ses parents toujours absents
Qui se contentent de lui donner un chèque avec trois zéros
Chaque fin de mois
Quand ils rentrent en coup de vent
Tirés à quatre épingles
Prêts à sauter dans leur avion
La serrant contre eux à bout de bras
Pour feindre l'humain, l'amour
Seule chose qui manque à cette famille parfaite
Ils lui glissent cet argent
Au creux de la main
Alors que tout ce qu'elle voudrait c'est juste un peu de chaleur
Dans cette immense
Villa
Vide
Pleine
D'illusions et de matériel
Mais elle n'a que cet argent
Et pourquoi s'en plaindre
Puisque c'est la seule chose qui compte.

Elle est piégée dans sa cage dorée
D'influenceuse, de jolie fille
Mais elle, ce qu'elle voudrait
C'est une amie sur qui compter
À qui elle raconterait ses journées,
Une famille imparfaite,
Qui se serre la ceinture en fin de mois
Mais qui rit le soir sur le canapé
Ce qu'elle voudrait,
C'est pourvoir attraper un marteau
Et briser le plâtre
Collé sur ses joues
Qui l'empêche de sourire

Mais elle se sent toujours seule
Terriblement et affreusement seule
Dans sa grande villa froide
Où elle a organisé des fêtes tout l'été
Avec des gens dont elle ne sait rien
Et qui ne savent rien d'elle
Alors qu'ils sont amis depuis des années

Ils faisaient illusion
Par convention et sans même se forcer
À ces soirées cool où personne n'entre sans être invité
Se contentant de boire et de chanter
De se noyer
Dans la musique qui fait trembler le plafond
Durant ces vacances d'été
Où elle broyait du noir
Plus que jamais

Elle se sent tellement seule
Que ça lui creuse un trou dans l'estomac
Elle n'est plus certaine d'exister réellement
Peut-être est-elle seulement un tableau
Peint par un artiste méconnu
Qui se prend pour une jeune fille
Ou peut-être n'est-elle que le vent
Qui siffle
Sur le toit de sa villa
Et qui emmêle ses cheveux tandis qu'elle avance ses pieds nus sur les tuiles chauffées par le soleil
Peut-être n'est-elle que la mer
Qui la regarde de loin
Faire un pas dans le vide
Et tomber
Illustrant à coup sûr la une des journaux
Et entraînant les murmures de demain
À propos de cette gosse de riche
Qui s'est jetée de son toit
Alors qu'elle avait tout ce qu'il fallait

« Vraiment, il y en a qui ne savent pas la chance qu'ils ont...»
Murmurera-t-on à son enterrement
Où ses parents vêtus de noir
Verseront des larmes insignifiantes
N'étant même pas sûrs eux-mêmes
D'être réellement tristes
On jettera une poignée de terre sur son cercueil
Peut-être une rose
Et on l'oubliera
On ne se souviendra que de son image
De son visage
Et de cette nouvelle fracassante
De la jeune envolée
Mais sûrement pas de son rire
Qu'elle même n'entendait jamais
Ni de son sourire
Parce qu'il était trop figé pour être vrai
On se souviendra de l'image qu'on s'était façonnée d'elle
À travers des silences hypocrites
Et des discours larmoyants
Prononcés par ses amis les plus chers
Qui ne connaissaient même pas sa chanson préférée
Personne ne se souviendra d'elle
Puisque personne ne savait
Qu'elle n'était pas réelle
Qu'elle était pas naturelle
Mais surtout en détresse
Et que la solitude chantante devait l'emmener.

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