Evy
Perdue dans mes pensées et encore sous le choc de ces réminiscences, je restelittéralement figée quelques minutes. Mon visage, marqué par la douleur, estinondé de larmes chaudes et amères. Mon esprit tourmenté peine à occulter les souvenirstoujours aussi vivaces. À chaque fois que je crois vaincre mes démons, ils me reviennent demanière plus intense. De fait, je me retrouve submergée par des pensées intrusives qui me fontsuffoquer au point d'en souffrir physiquement. À chaque nouvelle grossesse, ma détressetoujours plus grande m'a laissé de graves séquelles. Aujourd'hui, il ne me reste plus rien hormisune grande culpabilité dans laquelle je me noie un peu plus chaque jour. Comme en apnée, jeme sens sombrer, mais peu importe mes efforts, car j'ai l'horrible sensation de manquer d'air.
Mes plaies ne cicatrisent pas, elles sont bien plus béantes et purulentes qu'avant. Tout lemonde me dit de laisser le temps faire son œuvre, mais pour moi, les choses s'étiolent au lieude s'arranger. J'ai beau faire tout ce que je peux, le sentiment de perte me détruit. Les gensdisent souvent que l'on ne se remet jamais de la disparition d'un enfant. Mais quand on perdquatre bébés comment refaire surface ? Comment simplement avoir envie de vivre ?
Telle une ivrogne, je continue de déambuler bouteille à la main. Ma démarche est lente,vacillante même et pourtant, je trébuche sans jamais me casser la gueule une seule fois. Ce quije dois dire représente en soit un véritable exploit, vu à quel point je suis imbibée. Après tout, jene suis pas une grande buveuse. Bien que branlante sur mes jambes longues et toniques, jemonte à l'étage et finis par atteindre la chambre avec beaucoup de difficultés. L'appartementconjugal, l'espace où Stéphane et moi sommes censés dormir, représente une vaste farce àlaquelle je fais face seule.
À ce stade, puis-je encore considérer cet endroit comme notre chambre ?
J'en doute sérieusement.
De colère, je bois une gorgée de vin à même la bouteille.
Ici, les couleurs sont douces et reposantes, mais elles ne m'apaisent pas pour autant. Je merappelle avec précision ce jour de mai où nous avons décidé, Stéphane et moi, de repeindre lesmurs. En apparence, nous avions l'air si comblées et épanouies. Que maintenant ça a l'airpresque risible. Irritée, je soupire de mécontentement, parce que ce temps, où nous coulionsdes jours heureux, me semble loin. L'espace moderne et le lit structural en fond bleu ciel etblanc sont là, tels de vieux objets figés dans le temps.
En réalité, le décor n'a pas une quelconque importance. Cet endroit n'est que la pâle copie dece que nous sommes devenus, des étrangers l'un pour l'autre. Épuisée et alcoolisée, larésistance de mes membres faiblit au point que mes jambes ne portent plus mon corps. Touthabillée, je me laisse tomber sur le lit et me mets à sangloter. Je pleure la fin de mon mariage,mes enfants perdus, ma vie gâchée. Le reste de Sauvignon blanc est probablement en train dese répandre sur les draps, or je m'en fiche. Mes paupières trop lourdes et maculées de larmesfinissent par se fermer d'elles-mêmes.
Je m'endors dans un brouillard alcoolique pour un sommeil sans rêve...
Le soleil de ce mois de septembre est léger et caché par de lourds nuages. Pourtant, la lumièrem'aveugle. Je frissonne. J'ai froid. L'endroit où je suis à l'air glacial. J'entends comme un bruit detambour dans ma tête. Mes yeux papillonnent, mais ont beaucoup de mal à s'ouvrir. Je finis parme souvenir, mais émerge difficilement, car j'ai un mal de tête carabiné. Je sens le fauve, riende moins, et la gueule de bois que je me paye me salue. J'ai l'horrible sensation de m'être faitécraser par un bus, sauf qu'il va bien falloir que je me lève.
Bien qu'on soit dimanche, j'ai toujours de quoi faire. Après tout, je suis le genre de femme quitient à la propreté de son intérieur. Je tente de mettre debout, mais la transition est dure.
Merde ! Pourquoi ai-je bu autant ?
Ma conscience me répond moqueusement.
( C'est ça quand on déprime, ma veille ! )
Pff ... Il ne manquait plus que ça, que je me parle à moi-même.
Las de cet auto-apitoiement, je me fais taire sauf que ce n'est une solution miracle poursauvegarder le peu d'estime qu'il me reste. Je suis pathétique ! C'est comme vouloir quelquechose sans jamais pouvoir l'obtenir. La toucher du bout du doigt pour constater qu'elle fuitbeaucoup trop loin pour que l'on puisse l'atteindre. Groggy, je me dirige vers la salle bainadjacente, laisse tomber mes vêtements et mes sous-vêtements au sol. Puis, avecempressement, entre dans la cabine de douche pour gommer les traces de la nuit.
Ce qui est sûr, c'est que je ne dois pas être très digne en ce moment. Les cheveux en bataille,l'haleine de poney, les cernes sous les yeux tel un lapin drogué aux stéroïdes ne doiventcertainement pas me valoriser. Alors que l'eau tiède se déverse sur mon corps épuisé, j'essayepeu à peu de reprendre une apparence humaine. Je me délasse sous le jet afin de medétendre.
À la sortie de la douche, je suis requinquée. J'attrape mon peignoir, l'enfile et me rends au rezde-chaussée afin de récupérer mon téléphone quand je tombe sur le paquet contenant le livreque j'ai acheté hier. Au lieu de me préoccuper du portable pour lequel je suis descendue, je mesaisis du roman. Celui-ci m'échappe des mains et choit au sol. En le ramassant, je constatequ'un feuillet dépasse des pages. Curieuse, je l'extirpe sans m'attendre à ce que j'y trouve.
Billet n°1
EvyJ'ai attendu si longtemps et il y a tellement de choses que je voudrais te dire. La première, c'estqu'il y a cinq ans, ça aurait du être moi. Je peux t'aimer tellement mieux que lui. Je ne partiraispas en te laissant seule à l'aube. Trouve-moi, car je veux te toucher du doigt ; atteindre toncœur pour mieux te garder. N'aie pas peur. Laisse-moi une chance d'atteindre ce degré deconfiance, que je sois digne de toi. Sachant que je n'aurais pu être rien de plus, je n'ai mêmepas osé être ton ami. Aujourd'hui, je ne veux plus me taire. Et ce que je ne peux encore te dire,je laisse à ce livre le soin de le faire jusqu'au jour où je pourrais te dire :
- Viens, on s'aime.
PS : Tu t'es pointée comme un arc-en-ciel après la pluie ce vingt mars deux-mille dix. Commela première violette au printemps, je t'ai aimée et bien plus encore. Si tu ne t'en souviens pas, jeferai de ta librairie préférée un autel du souvenir.
LJ
Surprise, je me laisse tomber sur le banc du hall d'entrée. LJ ? Je ne connais personne de cesinitiales. Et puis d'ailleurs à quel moment ce mot a t'il pus être glissé là ? Je relis une fois, deuxfois, trois fois touchée par la profondeur de ses quelques phrases.Un sourire fleurit sur mes lèvres. Qui que soit cet homme, je n'arrive pas à croire que quelqu'unpuisse m'aimer comme ça.
Moi.
Impossible !
Salut chers lecteurs, après quelques difficultés j'avais quelque peu abandonner l'écriture, mais maintenant voilà quelques textes. Avec plusieurs romans en cours, j'espère faire plaisir. J'espère que celui-ci vous plaira. Merci de votre soutient.
VOUS LISEZ
Follow my heart
عاطفيةÀ l'aube de ses trente ans, Evy est coincée dans un mariage sans amour. La routine du quotidien a piétiné tous ses espoirs. Son travail elle ne l'aime plus depuis longtemps, son désir de maternité est un véritable fiasco et sa passion pour l'écritur...