À jamais

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« Je suis au regret de te dire que je m'en vais, car tu m'en as trop fait. »

Oui, tu m'en as trop fait. Beaucoup trop. T'en rends-tu compte ? Voici ton ultime souvenir de moi. Mes derniers mots.

Sept – bien trop – longues années que nous sommes ensemble. Où nous nous promettons tant de bonheur, tant d'amour, tant d'allégresse, tant de joie de vivre. C'était bien au début. Si bien. Mais il a fallu que tout tombe en ruine. Le début de la fin. Je t'écris là le résumé de notre vie commune. Histoire de tout se remémorer. De A à Z. Et de ne jamais rien perdre.

Tu te souviens de notre première rencontre ? Le commencement de tout ? T'en souviens-tu encore ? Nous étions tous les deux en faculté, médecine pour toi, droit pour moi. Nous avions la vingtaine, les cheveux dans le vent et le vent en poupe. Nous nous sommes rencontrés à une de nos – nombreuses – soirées étudiantes bien arrosées. Sauf que ce soir-là, nous avions tous deux été désignés comme « Sam », ceux qui ne boivent pas pour ramener tout le petit monde qui s'est bien éclaté à bon port, selon la Sécurité routière. Alors nous avons commencé à papoter, à se raconter nos petites vies, à nous échanger nos numéros de portable, à s'inviter à nouveau, d'abord dans un petit bar, puis l'un chez l'autre, de plus en plus fréquemment par la suite, jusqu'à ce que je finisse définitivement par m'installer chez toi. Inutile de rappeler que nous avions bien évidemment couché ensemble. Quels moments ! On était là, l'un sur l'autre, en train de l'accomplir. Notre bonheur, notre satisfaction commune. C'était faussement romantique.

Puis le temps a passé. À ce moment-là, on avait déjà inauguré chaque recoin de ton appartement. Mais malgré ce que toi, l'assurance et les impôts pouvaient penser, je ne me suis jamais senti chez moi chez toi. Et pourtant, tous les meubles de toutes les pièces y étaient passés. On faisait l'amour tout le temps, dès qu'on le pouvait. Quand tu partais à l'hôpital où tu étais infirme, tu me manquais terriblement. Je pensais toujours à toi, et ce malgré mes occupations qui me prenaient tout de même une bonne partie de mes journées. Souvent, quand je ne cherchais pas du boulot ou que je n'allais pas bosser dans le petit bar du coin, je tentais toujours de me changer les idées. Je sortais me promener, voir de bons potes ou retrouver de vieilles connaissances du lycée. Jusqu'au jour où je me suis dégoté un boulot en rapport avec mes études que j'avais finies quelques mois plus tôt, dans un petit cabinet d'avocats du centre-ville. Je m'en souviens comme si c'était hier. Je t'avais envoyé un message : « Retrouve-moi au restaurant du Grand Chêne, ce soir à 20.00 (tenue correcte exigée). Je t'aime ».

Le Grand Chêne, c'était un restaurant ultra-chic du vieux bourg. Il n'y avait là que des bourges et des bobos pétés de thunes. Mais ce soir, j'avais envie de me la jouer, et d'y aller, histoire de se foutre un peu d'eux, et d'en garder un bon souvenir.

Nous avons dignement fêté ma place dans ce cabinet. Puis, à un moment donné, entre le plat et le dessert, tu t'es levé de table, tu as pris une grande inspiration, et tu t'es agenouillé devant moi. Tu as sorti de ta poche une petite boîte en velours rouge que tu as ouverte sous mes yeux. Je savais déjà pertinemment ce que tu voulais :

« _ Thomas, veux-tu m'épouser ? »

À ces mots, mon sang n'a fait qu'un tour. Je me suis jeté à ton cou, je t'ai embrassé partout où je le pouvais et je t'ai crié « Oui ! ». Si seulement j'avais su... Su ce que ç'aurait donné aujourd'hui, sept ans plus tard.

Entre ta demande et le mariage, tu n'arrêtais pas de m'en parler, de tout vouloir préparer, que tout soit indéniablement parfait. On aurait dit que tu n'avais vécu que pour m'épouser. C'est dire...

Peu de temps après, nous avons commencé à faire des voyages, un peu partout. Égypte, Thaïlande, Australie, Mexique, Canada, Pays-Bas. Dans cet ordre. Et si les Pays-Bas furent notre dernier, c'est qu'il y a bien une raison.

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