#ILETAITUNEFOISCHALLENGE

Prologue

Le cri était glaçant. Luna se redressa en sursaut et tendit l'oreille. Le silence. Le vent dehors s'était calmé. Le bois de la vieille charpente ne craquait plus. Jamais la maison n'était si silencieuse. Après quelques secondes d'hésitation, la petite fille rejeta les couvertures et se leva en serrant contre elle son lapin en peluche qui avait vu passer des machines à laver. À pas de loup, elle se dirigea vers la porte de sa petite chambre et posa son oreille contre le bois où la peinture s'écaillait et où Eliot avait dessiné au feutre un dinosaure crachant du feu. Elle posa sa petite main sur le dessin que son père avait tenté d'effacer en pestant et attendit. Mais elle n'entendit pas un son à part son cœur qui battait la chamade. Elle avait peut-être rêvé. Elle patienta encore quelques secondes, mais alors qu'elle allait se résoudre à retourner dans son lit, un bruit sourd la fit vivement reculer. Elle étouffa un cri dans son lapin.

Des pas rapides résonnèrent dans le couloir et la poignée de la porte se mit à tourner. Luna recula un peu plus en serrant très fort sa peluche. Quelqu'un entra précipitamment et referma la porte avant de la bloquer avec la petite chaise en plastique de son bureau.

- Moon ! s'écria la petite fille.

- Chut !

Son frère ainé déposa Eliot sur le sol. Le petit garçon la rejoignit rapidement en tirant sur son pyjama. Il tenait par son unique oreille son propre lapin. Ses cheveux roux étaient complètement ébouriffés et il avait l'air effrayé. Luna prit la main de son jumeau.

- Moon ? Qu'est-ce qui se passe ? chuchota-t-elle, insistante.

Ce dernier se tourna vers eux. De la sueur perlait sur son front et ses yeux étaient écarquillés. Elle ne savait pas ce qu'il avait vu, mais cela devait être terrifiant.

Il se dirigea vers la fenêtre et observa le jardin qui s'étendait à l'arrière de la maison. Que cherchait-il ? Une porte de sortie ? Ils étaient au deuxième étage et il n'y avait aucun arbre pour les aider à descendre.

Un craquement dans les escaliers fit sursauter Luna. Quelqu'un montait. Un pas lourd et menaçant qui n'appartenait à aucun de ses parents. Eliot se mit à pleurer.

Moon s'agenouilla à leur hauteur. Ses cheveux blancs éclairés par un rayon de lune lui donnaient un côté fantomatique. Il avait l'air encore plus sérieux que d'habitude. Malgré ses quinze ans, il ressemblait soudain à un adulte. Malgré la pénombre on pouvait distinguer une vilaine ecchymose sur sa pommette gauche. Il l'avait récoltée au lycée pour avoir défendu un camarade qui se faisait harceler. Papa et maman s'étaient fâchés et lui avaient reproché d'attirer l'attention. Luna n'avait pas compris leurs reproches. Pour elle, son frère était un héros, comme ceux imprimés sur les pyjamas d'Eliot.

- Écoutez-moi bien, murmura Moon. Tout va bien se passer, vous allez juste vous cacher sous le lit, d'accord ?

- Mais, et toi ? Tu peux pas rentrer sous le lit de Luna, tu es trop grand ! s'inquiéta Eliot.

Le parquet du couloir grinça sinistrement. Luna et Eliot s'accrochèrent dans un même mouvement à leur grand frère.

- Où sont papa et maman, sanglota la petite fille.

- Tout va bien se passer, répéta Moon en les serrant contre lui.

Le parquet grinça à nouveau juste derrière la porte.

- C'est un monstre ? chuchota Elliot en se cachant derrière son lapin.

Les monstres n'existent pas, se rappela Luna. Maman et papa l'avaient assez répété. Il n'y avait pas de monstres dans la cave, pas de monstres dans le placard et pas de monstres sous les lits. Pourtant à ce moment précis, Luna était sûre qu'il y avait un monstre derrière sa porte.

Elle s'accrocha avec force à Moon.

Le silence était revenu, écrasant. Comme si la chose qui attendait sur le seuil de sa chambre n'était pas vivante : que son cœur ne battait pas, qu'il ne respirait pas.

Moon les guida vers le lit et les força à se glisser dessous. Luna nota distraitement que la robe rose de sa Barbie, qu'elle cherchait depuis des mois, était en fait cachée sous un livre dissimulé derrière l'un des quatre pieds en bois.

Soudain, quelque chose frappa contre la porte qui craqua.

- Moon ! s'écria Eliot. Va te cacher, Moon !

Mais Moon avait fermé les yeux et parlait tout bas et très vite. Luna tendit la main vers son frère ainé, alors que la porte explosa.

Une intense lumière blanche aveugla la petite fille, puis les ténèbres l'engloutirent.

Luna ouvrit les yeux et vit les étoiles. Elle se sentait étrange, comme si ses pensées étaient emmêlées. Elle était dans les bras d'un homme dont le casque de pompier reflétait la lumière bleue des sirènes. En quelques secondes, elle fut allongée sur un brancard. En tournant la tête, elle aperçut Eliot allongé comme elle sur la civière à sa droite. Il avait l'air très fatigué et son visage était couvert de suie.

- Petite, est-ce qu'il y a d'autres personnes dans la maison ? demanda vivement le pompier en s'apercevant qu'elle avait repris connaissance.

Luna essayait de réfléchir, mais elle n'arrivait pas à remettre les éléments dans le bon ordre. Elle se souvenait du cri, du rire de sa mère dans la cuisine, de son père lui racontant une histoire, et d'Eliot lui tenant la main. Elle avait mal à la tête. Elle ne savait pas, elle ne savait plus.

- Fais un petit effort, je sais que c'est dur, insista le pompier.

Luna trouva qu'il avait l'air gentil.

- Mon papa et ma maman, croassa-t-elle. Sa gorge la brûlait et elle se mit à tousser.

Un médecin s'interposa avec un masque à oxygène.

- Pas d'autres enfants ? Pas de frères ou de sœurs hormis vous deux ? insista le gentil pompier malgré le regard désapprobateur du médecin.

Luna fronça les sourcils. Non. Personne d'autre. Juste Eliot et elle.