Chapitre 1 : L'enfance

94 3 2
                                    

Aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours été une gentille fille. Une fille sage.

Au final, pourquoi ?

Pour qu'on me remarque, je crois.

Certaines personnes tentent d'attirer l'attention en lançant des appels S.O.S à qui voudrait bien les entendre en faisant milles et unes bêtises, crises, tentatives de suicide. Moi, j'ai voulu me démarquer. Il fallait que je survive d'une manière ou d'une autre dans un environnement familial toxique, il fallait que j'existe. Que je me batte pour vivre. Que je montre les dents pour qu'on ne m'abandonne pas. Il fallait qu'on m'aime.

Tout s'est joué pendant mon enfance, tout l'être que je suis à l'heure actuelle s'est construit avant que je puisse y comprendre quelque chose. Tout m'a impacté. Profondément.

Pourquoi ai-je peur de l'abandon ?

Cette face de ma personnalité a commencé à s'esquisser lors d'une journée comme les autres. J'avais huit ans et depuis peu, mon frère était revenu vivre à la maison, avec ma mère et moi-même après avoir été fichu à la porte.

Zakarya a toujours eu un tempérament des plus difficiles, il était impulsif, paranoïaque et très possessif envers maman. C'est donc à cause de ça qu'elle l'avait viré de la maison plusieurs fois. Et lorsque nous avions déménagé, il ne nous avait pas suivis. Il m'arrivait de me demander où il dormait, mais j'étais petite, alors j'oubliais aussitôt après m'être posée la question.

Quelques mois après notre déménagement il fut son grand retour parmi nous dans ce nouvel appartement et tout se passait plutôt bien, jusqu'au jour fatidique.
Nous étions au beau milieu d'un repas quand Zakarya a commencé à reprocher à ma mère d'être montée en voiture avec un homme, selon les dires d'un ami à lui. Chose qui était fausse car ce prétendu jour c'était mon frère lui-même qui était allé récupérer ma mère sur son lieu de travail. Trop têtu pour écouter, il ne se rendait même pas compte que l'homme en question, c'était lui.
Après les nombreuses justifications qui ont suivies et les cris échangés, ils se sont tous les deux réfugiés dans leurs chambres respectives. Il ne restait plus que moi, seule, à table. J'ai tenté maladroitement de la débarrasser avant de rejoindre ma mère dans la chambre que nous partagions à l'époque.

Et là je l'ai vu, assise sur le lit, les joues pleines de larmes sur lesquelles retombait sa chevelure rousse. Son visage était éteint et sa bouche pleine de médicaments. Je n'avais que huit ans mais j'ai très vite compris que cette situation n'était pas normale. J'avais déjà vu des films à la télévision, j'avais déjà entendu parler de suicide. Clairement, je savais ce que ma mère était en train de faire, mais je me sentais impuissante.

Paralysée, je ne savais ni quoi dire, ni quoi faire. Des idées se bousculaient dans ma tête, j'étais partagée entre lui ramener un bol pour qu'elle recrache ce qu'elle avait pris, la traîner jusqu'aux toilettes et la forcer à vomir ou appeler de l'aide, je voulais faire plein de choses.

Mais j'avais tellement peur que je m'étais résolue à lire dix fois la notice de la boîte de médicaments en lui posant en boucle la même question : « Combien t'en as pris ? ».
Comme si j'étais docteur et que j'aurais pu poser un diagnostic en fonction du nombre qu'elle m'aurait cité.
Malheureusement elle ne savait pas, elle avait juste ouvert la petite boite verte, versé ce qu'elle pouvait dans sa main toute blanche et mit le tout sur sa langue, se forçant à avaler d'un coup. J'ai fini par me dire que c'était la fin, une petite voix dans ma tête me répétait qu'elle ne m'aimait plus et qu'elle voulait m'abandonner. Une autre répondait qu'elle faisait ça parce qu'elle était triste à cause de mon frère, mais la première voix lui rétorqua « si tu étais digne d'amour, elle ne voudrait pas mourir ».

- Craindre n'est pas le pire -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant