Strawberries & Cigarettes

60 4 2
                                    


On a tout quitté le temps d'une nuit. Loin des lumières de la ville, du cri des rails sur lesquels passe le métro, des drames du lycée. Le 'pd' introverti avec le non binaire présent un jour par semaine, c'est vrai que c'est un duo étrange.


Tu te souviens de notre premier baiser ? C'était la première fois qu'on se rencontrait vraiment. J'avais déjà entendu parler de toi, évidemment, mais t'étais si peu au lycée que te croiser dans les couloirs c'était un miracle. Tu t'es pointé chez moi, en plein milieu de l'après-midi, j'étais dans la cuisine avec mes amis, tu sais, ceux que je peux pas présenter à mes parents parce qu'ils font trop queer – bonne chose qu'ils n'aient pas été là. T'as sonné, et quand j'ai ouvert t'avais le dos tourné à la porte, tu fixais un point dans l'horizon, derrière la maison bleue en face de chez moi. Puis quand tu as pivoté vers moi, t'as simplement souris, comme si on était amis d'enfance et que tu venais prendre le goûter à la maison. Alors je t'ai souris aussi, qu'est-ce que tu voulais que je fasse, t'étais beau dans ton pantalon à carreaux et ton sweatshirt jaune – qui porte des sweats en été ? Je me suis décalé pour te laisser passer, t'es rentré et tu m'as embrassé. Un baiser léger, pour dire bonjour, comme dans les films gays que je regarde tard le soir quand mes parents dorment.Puis t'as fait la même chose avec tous mes potes, y'en avait pas beaucoup à vrai dire, mais le notre était spécial, n'est-ce pas ?

Cet après-midi fut de ceux qu'on oublie pas, baigné de soleil, rempli de chaleur, heureux, souriant, parce que dans l'absolu on avait l'impression que ce sentiment pouvait durer à jamais, on venait de finir le lycée, et l'odeur de pancakes embaumait la cuisine, un après-midi d'été qui s'étend jusqu'au soir.


Ça fait seulement trois semaines, mais j'ai l'impression que ça a duré trois ans. Trois semaines de longues nuits où on fonçait à cent kilomètres à l'heure sur des routes délaissées dans le noir, de rêves en plein jour, la tête perdue dans les nuages, le plafond de ta chambre dans les yeux, la pièce qui tourbillonnait autour de nos conversations sans but, de sucre et de ronds de fumé que tu t'amusais à me souffler dans la gueule. De phares qui nous illuminaient alors qu'on prenait des Polaroïds, d'yeux bleus – les tiens –, de jeans noirs et de briquets et de bonbons. Trois semaines de fraises et de cigarettes.


Cette nuit, celle-là, c'était la plus belle, la plus confuse peut-être. Tu m'as appelé en plein milieu de la nuit, ta voix rauque grésillait dans le téléphone, j'étais à moitié endormi, j'ai pas réfléchi. T'avais l'air étonné que j'accepte devenir te voir à une heure du mat', mais que veux-tu, je suis idiot.Je me suis glissé en dehors de ma chambre, en pyjama, étouffant sous la chaleur de cette nuit orageuse. Puis j'ai couru jusqu'à toi,les yeux embués, la respiration rapide. Tu voulais aller au bord de la mer, mais on pouvait pas aller très loin, tes clés étaient enfermées dans ta voiture. Alors on s'est installés sur le toit,les jambes qui se balançaient au-dessus de la quatre voies, bien au dessus, les voitures défilaient dans le noir, points de lumières apparaissant et disparaissant aussitôt. J'avais la boule au ventre,ce sentiment bleu qui me bouchait les oreilles. Tu m'as demandé de t'allumer une cigarette, puis t'as fixé mes lèvres, et je pouvais déjà sentir tes baisers, les fraises et les cigarettes qui ont tout le temps ton goût. Tu m'as embrassé partout, et j'avais le corps qui brûlait sous ta bouche, le contact glacé de la voiture sous moi m'a rendu fiévreux.

On a parlé du destin, c'est toi qui m'as tout appris,tu disais que ça valait le coup d'attendre, sous les yeux doux de la lune. On a pris le taxi jusqu'à la mer, le trajet était long, tu te souviens, sur la banquette arrière, on imaginait des vies aux conducteurs des voitures derrière nous, et tes doigts couraient sur ma main, j'étais perdu.

Le lendemain y'avait rien sur mon téléphone, pas de message, pas d'appels confus après notre bain de minuit, c'était un de tes jours off je suppose, ceux où tu disparaît sans explications, un de tes petits jeux, mais y'avait encore ton odeur sur mes vêtements, et j'avais le goût de fraises et de cigarettes dans la bouche, car elles ont toujours ton goût.

Strawberries & CigarettesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant