Un chapitre - Une histoire ♥

Un Carnaval Inoubliable !

Ania noue délicatement le ruban en satin de son masque et admire le résultat dans le miroir.
Un sourire apparait sur son visage, ce soir sera une bonne soirée.

Elle sort de la salle de bain des Peters et s'engage dans l'escalier, guidée par la seule clarté des
bougies disposées un peu partout. Les invités lèvent la tête tandis qu'elle descend les marches.

Les regards s'attardent longtemps ...

La foule est masquée, Ania a l'impression de voir des yeux de prédateurs briller dans la demi-clarté du salon. Envie, désir, jalousie, colère, mépris ... tant d'émotions différentes traversent la pièce pour l'atteindre tandis qu'elle continue sa descente, sûre d'elle, habituée, avec un petit sourire satisfait qu'elle ne fait rien pour dissimuler.

Aucune raison qu'elle fasse semblant, elle sait parfaitement qui elle est.

C'est grisant de ne plus reconnaître qui que ce soit, il fait sombre, on est éclairé juste ce qu'il faut
pour se deviner.

C'est le genre de soirée ou tout le monde arrive endimanché, en gloussant que « jamais on aurait
pensé venir mais bon puisqu'on est là hein autant en profiter » et qui se termine toujours de manière ... inattendue.

On arrive en parlant fort pour cacher sa joie, on repart en silence pour cacher sa honte.

Ania est connue « dans le milieu » pour organiser ce genre de soirée, mais cette nuit, il y a une
raison officielle qui lui a permis d'ouvrir un peu plus son cercle d'invités : le carnaval.

« Oh cette soirée s'annonce inoubliable Miss James, qu'est-ce que vous nous avez prévu comme
animation principale ? Fridrich pense à une pièce de théâtre alors que Ludvic opterait plutôt pour une partie d'échecs géant, je leur ai dit que s'ils y avaient pensé c'est que ce n'était forcément pas ça (bien que l'échiquier offrirait des possibilités intéressantes) mais vous connaissez la jeunesse, ils ne veulent pas en démordre et sont sûrs de leurs hypothèses ... »

La jeune femme passa à côté du bourgeois comme si elle ne le voyait pas. Le front déjà
passablement dégarni de l'homme rougit de honte et il s'éloigna piteusement vers l'un des buffets où s'étalaient des dizaines d'entremets différents.

Il se servit un grand verre de ce qui semblait être l'un des meilleurs vins qui puissent se trouver et l'avala goulûment en espérant faire passer l'affront en même temps que sa soif.

Cette maison était tout de même la sienne, il aurait espéré un peu de reconnaissance pour avoir prêté le lieu ...

Pris dans ses pensées, il ne remarqua qu'au bout de quelques longues secondes qu'un épais silence s'était installé dans la pièce.

Miss Ania James était sur l'estrade.

« Mes chers compagnons, bonsoir, commença-t-elle, certains d'entre vous me fréquentent depuis des années, d'autres n'avaient seulement pas entendu mon nom avant ce soir. Une chose est sûre, après cette nuit, vous ne l'oublierez plus jamais. »

Mr Peters ne put retenir un ricanement qui lui valut des regards noirs des quelques personnes les plus proches de lui.

Il essuya les quelques gouttes de sueur perlant sur son crâne presque chauve et rebut une gorgée pour se donner une contenance.

« Vous êtes venus ici pour passer une soirée inoubliable et vous pouvez me faire confiance, elle le sera. J'invite tous les invités dont c'est la première soirée à s'avancer près de l'estrade, juste devant moi. »

Personne ne bougea pendant un court instant qui sembla durer une éternité ... puis finalement l'un des hommes proche de la porte d'entrée se rapprocha de la scène. Son mouvement sembla
déclencher tous les autres et finalement une vingtaine de convives se trouvèrent rassemblés.

Il se rapprochèrent les uns des autres, mi-excités, mi-intimidés.

Miss Ania James les regarda en silence tandis qu'ils se déplaçaient et continua à les fixer pendant un long moment après qu'ils furent en place.

Une gêne palpable se dégageait du groupe malgré les rires maladroits de certains des convives
concernés.

« Vous êtes venus ici pour célébrer le carnaval, belle fête joyeuse vous permettant de dissimuler vos péchés derrière un masque ... parce que c'est pour cela que vous êtes venus ce soir, n'est-ce pas ? Vous espérez des étreintes lascives avec des inconnus, de la nourriture jusqu'à n'en plus pouvoir, vous rendre ivre jusqu'à plus soif ... »

L'oratrice se redressa alors et sembla s'adresser au reste de ses convives :

« Savez-vous que le mot « carnaval » vient à la base de « carnelevare » ? Un mot latin formé de
carne pour désigner la viande et levare qui signifie enlever ...
Cette journée est en réalité la nôtre mes chers amis, cette fête a été organisée par nos ancêtres pour qu'une fois dans l'année nous puissions nous nourrir sans chasser nos proies, pour une fois, ce sont eux qui viennent délibérément à nous. »

Elle inclina légèrement la tête.

« Ce soir il n'y aura pas de restriction, pas de privation. Profitez de cette chance, faites durer le
plaisir et prenez des forces.
L'animation de cette réunion mes amis, c'est un banquet ! »

Tandis qu'elle descendait de scène le groupe d'invités rassemblé commença à blêmir en voyant le reste de la salle avancer lentement vers eux. Certains tentaient encore de croire à un jeu, mais la plupart avaient réalisé que cela n'avait rien d'une animation et cherchaient hâtivement une issue pour s'enfuir.

Mais c'était peine perdue, ils étaient encerclés.

Mr Peters interpella Ania tandis qu'elle commençait à remonter les escaliers :

« Eh bien Miss James vous ne restez pas avec nous pour profiter de ce festin ? Après tout le mal que vous vous êtes donné pour l'organiser ?
– Non, je préfère diner seule, répondit-elle sèchement »

Tandis que la robe de son interlocutrice disparaissait petit à petit en haut des marches, Mr Peters se dit qu'il était bien dommage qu'une femme aussi brillante ne soit pas plus loquace.

Puis il jeta un oeil à l'estrade, pensa à son magnifique tapis qu'il allait devoir jeter dès le lendemain et se maudit de ne pas avoir pensé à le retirer avant la soirée.

L'odeur du sang frais commençait néanmoins à envahir toute la maison et le propriétaire du lieu
décida soudainement qu'il valait mieux remettre ses problèmes domestiques à plus tard.

La lueur des bougies éclairait à peine la pièce à présent, beaucoup avaient été soufflées dans
l'action. On ne voyait plus de Mr Peters que le reflet de son crâne chauve et celui de ses canines.

Le Carnaval est décidément une fête délicieuse.