Il suffit d'une soirée ...

2.3K 344 139
                                        



La fête battait son plein chez Sophie et tout le monde s'amusait. Enfin tout le monde sauf elle. Ses parents tenaient à organiser tous les ans une soirée pour rassembler tous les voisins et mon dieu qu'elle trouvait ça barbant.

Les trois quarts des invités avaient également des enfants et ils passaient la soirée à comparer les merveilles de leurs progénitures.


« Oh notre petit Simon marche déjà vous vous rendez compte ? A 10 mois !Le pédiatre nous a dit que c'était singulièrement tôt, mais cela ne nous étonne pas ! Il tient de son père. »


Sophie avançait dans le salon bondé.


« Laeticia parle déjà trois langues presque couramment, bon elle a encore un peu de mal avec le chinois, mais à huit ans elle a encore droit à une petite marge d'erreur »

Elle entendit les rires suivre les prouesses de Laeticia et eut une pensée de compassion pour la fillette.


Sophie se demanda pourquoi ses parents organisaient toujours ces soirées ...techniquement s'il y avait deux adultes qui ne se vanteraient pas ce soir des prouesses de leurs marmots c'était bien eux.

Son frère ainé était en Australie en ce moment, officiellement pour perfectionner son anglais, officieusement pour partir le plus loin possible d'ici. Il n'avait jamais pu se faire à cette vie de banlieue, tous parqués dans de petites maisons identiques avec des vies insipides. Il était un esprit libre. Enfin selon ses mots.

Sophie se disait surtout que c'était un glandu fini. Elle l'aimait bien,mais elle trouvait sa manière de critiquer un peu facile.

Quant à elle ... elle était moyenne en tout. Elle avait 10,5 de moyenne,elle n'était pas spécialement jolie, pas spécialement moche, pas spécialement drôle ou cultivée ... Elle avait l'impression d'attendre un déclic, quelque chose qui lui donnerait l'impression que sa vie commence enfin.


Elle alla s'installer à son endroit favori dans le jardin, sur la branche basse du prunier, dissimulé derrière l'énorme arbuste de lila qui était déjà en fleur. De là, elle pouvait observer tranquillement les gamins jouer et les parents glousser comme des dindes en parlant d'eux.

Et elle pourrait peut-être esquiver pendant quelques temps la corvée des petits fours à distribuer.


«Sympa comme point d'observation »

La jeune fille sursauta et failli perdre l'équilibre. Un garçon était nonchalamment adossé au tronc d'arbre. Elle n'arrivait pas à discerner son visage, la nuit était déjà bien installée et ils étaient assez loin de la terrasse et ses guirlandes lumineuses.


« Je viens souvent m'installer là, j'ai l'impression d'être hors de tout ça, Sophie désigna la maison illuminée sans savoir si son interlocuteur pouvait voir son geste, bon la c'est particulièrement flagrant vu le monde qu'il y a, mais même quand il n'y a que mes parents ... ça fait du bien de souffler un peu parfois ».

Elle s'étonna elle-même d'en avoir tant dit.

«-Je comprends, répondit le jeune homme, le jardin de mes parents a pas un seul arbre, y'a que de la pelouse tellement tondu qu'on voit la terre et trois rosiers qui se battent en duel, faut que j'aille plus loin si je veux être peinard »

-Et tu vas ou du coup ?

Elle sentit qu'il tournait la tête vers elle.

« Je préfère pas le dire, on pourrait nous écouter ... mais jte montrerai un de ces quatre si tu veux »

Il souriait, elle pouvait le deviner.

Elle ne comprenait pas bien pourquoi, mais elle se sentait singulièrement bien.

Ils parlèrent pendant ce qui lui sembla être à la fois des heures et quelques minutes seulement. Il s'était approché et elle pouvait sentir son odeur maintenant. Il sentait bon.

« -Imagine, si la d'un coup je devais te reconnaître parmi une foule de personne, comment je saurais qui tu es ?

- Heu, elle fut prise de cours et toucha ses vêtements pour pouvoir se les représenter et les décrire le plus correctement possible, j'ai une robe toute noire avec des petits filigranes blancs dessinés un peu partout, c'est une de mes préférées parce que quand je suis stressée je me concentre sur les silhouettes brodées et je les retrace avec mes doigts ... je suis très ordinaire sinon, je n'ai rien de particulier... et toi ?

- Moi ... La seule chose qui me différencie des autres c'est ptete ça. »


Il tendit son bras et lui pris la main après quelques tâtonnements.Leurs doigts s'effleurèrent quelques secondes et Sophie sentit son estomac tourner dans tous les sens. Purée c'était ça qu'on appelait des « papillons dans le ventre » ? C'était des frelons ou des flamands roses à ce stade, on était loin de la délicatesse des papillons !

Elle sentit une bague à son majeur et tenta de se la représenter ensuivant lentement son contour. Elle avait un peu de mal à se concentrer, trop émue par le contact de sa peau pour faire vraiment attention au bijou.

« Elle appartenait à mon grand-père, dit-il après quelques instants de silence. Il avait une voix assuré mais son souffle court trahissait néanmoins son trouble, c'est une chevalière avec un griffon gravé dessus. Il y tenait beaucoup, il tenait à ce que je la récupère quand ... »


« Sophie !!!Dépêche toi de venir aider pour le service, on a besoin de toi ! »


La voix de son père retentit, brisant la magie.

« Je dois y aller, désolée » souffla-t-elle. Elle sauta de sa branche et courut auprès de son père avant qu'il n'ameute le quartier. Enfin façon de parler, le quartier était déjà dans sa maison.

« Mais où étais tu enfin chérie ? Tu sais que ta mère tient à ce que tout soit parfait, va donc lui donner un coup de main pendant que je débarrasse les assiettes vides » lui dit-il en lui faisant un baiser rapide sur le front.

Elle plissa les yeux quelques instants, le temps de s'habituer à la lumière, puis se hâta vers la cuisine pour seconder sa mère, qui effectivement ne savait plus ou donner de la tête.


Après avoir distribué des petits canapés au concombre (sérieusement,pourquoi on appelle ça des canapés ? ) et des toasts au saumon pendant de longues minutes elle posa les assiettes sur la table et s'adossa contre le mur.


Elle repensa au garçon bien sûr, ce n'était pas tous les jours qu'elle sympathisait avec quelqu'un ...

Même si elle savait que ça faisait très culcul, elle ne pouvait s'empêcher de penser que, lui, était vraiment spécial.

Quelqu'un s'adossa près d'elle.

Elle n'osa pas lever la tête, mais fit glisser discrètement son regard vers lui pour repérer l'indice qu'il lui avait partagé.


Elle vit sa bague.

« Tu es tout sauf ordinaire »

Elle sourit et osa enfin se redresser pour le regarder dans les yeux.

Plus jamais elle ne critiquerait les fêtes de ses parents.

Un chapitre - Une histoire ♥Où les histoires vivent. Découvrez maintenant