L'air frais ravivait le rose de ses joues, ses mains commençaient à devenir froides et la petite brise glaçante emmêlait ses cheveux blonds parfaitement brushés. Elle passa sa main dans ses cheveux, nerveuse.
Certains passants s'arrêtaient pour la regarder, se moquer d'elle ou simplement lui assener des vulgarités. A ceux là, elle ne leur répondait rien. Fort heureusement, la majorité l'ignorait pendant qu'elle se contentait d'attendre à cet endroit là, sur le trottoir, le regard perdu dans le vide. Elle, c'était le silence qu'elle préférait. La jeune femme savait pourtant qu'elle aurait plus facilement des clients si elle daignait au moins sourire ; même prononcer une petite phrase aguicheuse l'aiderait à attirer les hommes. Mais rien n'y faisait. Elle ne s'habituait pas à cette situation. Comment en était-elle arrivée là ? A faire le trottoir dans cette robe moulante blanche bien trop courte pour elle? Pourquoi n'était-elle entourée que de ces prostituées dont la plupart ne parlaient que mandarin? Pourquoi diable s'était-elle fourrée dans cette situation.
La jeune femme blonde ferma les yeux, emplit ses poumons d'air frais puis souffla un bon coup. Endettée. Elle était endettée et c'était la seule solution qu'elle avait... trouvé afin de garder son appartement et poursuivre ses études. C'était, du moins, ce dont elle essayait désespérément de se convaincre. N'importe quelle autre personne de son âge aurait choisi un petit job à mi-temps; c'était bien à ça qu'elle pensait aussi. Mais il n'y avait qu'elle pour être aussi crédule... Franchement, croire qu'un homme au style douteux, à Kabuki-cho, ce quartier très mal réputé de Tokyo, pouvait lui offrir un emploi de serveuse bien rémunéré.... Plus elle prenait du recul, plus elle se trouvait stupide.
— C'est combien?
Perdue dans ses pensées, elle n'avait pas vu l'homme s'arrêter devant elle. Il était plutôt agé, empestait l'alcool et sa chemise était mal boutonnée. Nul doute qu'elle n'était pas la première de sa soirée.
Elle le toisa de longs instants. Il n'avait pas l'air sympathique. Ses mains devinrent soudainement moites; elle ne souhaitait pas revivre l'expérience difficile qu'avait été son premier client, elle préférait mourir endettée que de revivre ça, elle ne...
— T'as perdu ta langue, bébé? Tu veux peut-être que je t'aide à la récupérer?
Le client s'approcha d'elle et lui serra la mâchoire de sa main droite. Prise par surprise, elle ne chercha pas à se débattre, et se contenta de reculer un peu en arrière, gémissant de douleur. Il lui faisait mal. Elle ne rêvait que de lui arracher les yeux, mais elle aurait de gros problèmes... Elle devait chercher de l'aide. Quelqu'un. Il approchait dangereusement ses lèvres immonde des siennes. Elle allait vomir.
— Pardon monsieur, mais vous ne pouvez pas consommer sans avoir payé, intervint un homme qu'elle ne connaissait que trop bien.
— Elle refuse de me dire ses tarifs! Il faut bien la faire parler!
— Elle n'est pas dans vos moyens. Abandonnez l'affaire avant que les hommes de mains de Monsieur Tatsuhiro ne viennent s'occuper de votre cas.
Le ton de ce dernier était assez convaincant pour que l'autre hésite un instant, pour finalement desserrer son emprise sur la mâchoire de la jeune femme. Il afficha un air dédaigneux envers elle, avant de tourner les talons puis de s'éloigner.
Adossée au mur et encore sous le choc, la jeune prostituée essayait de reprendre ses esprits et une respiration normale. Elle n'avait jamais éprouvé d'attirance sexuelle pour qui que ce soit; mais depuis quelques jours qu'elle faisait ce boulot, elle se disait qu'elle allait devenir misandre.
— Encore un taré, souffla l'homme qui l'avait tirée de cette situation.
— M...Merci Yon, je pense que j'aurais fait une bêtise s'il m'avait approchée...
— De rien, mais il faut vraiment que tu travailles ta manière de communiquer avec le client, Carmen. Deux semaines que tu travailles et ça fait déjà le 4ème qui a des pulsions violentes... Je peux te sauver quelques fois, mais à la fin du mois, il faut que tu aies ramené assez de fric, tu connais les règles.
Les règles. Bien évidemment ni qu'elle les connaissait. On ne lui avait pas demandé si elles lui convenaient, de toute façon. La première règle était simple: Emi, de son vrai nom, devait ramener une certaine somme d'argent par mois à Tatsuhiro; si elle était atteinte, il l'a laissait repartir avec le surplus. Si elle ne l'atteignait pas... Elle serait battue la première fois. Puis si cela se reproduisait, on lui avait fait sous entendre que "ses hommes se feraient un plaisir de s'occuper d'elle", et enfin au troisième retard, c'était surement une vente aux enchères de son corps. La deuxième règle était de ne jamais blesser le client, car toute violence physique qu'elle exercerait lui sera infligée. La troisième règle était de ne jamais convoiter ou avoir des relations avec d'autres... dirigeants de ce type de réseau. Si elle respectait ces trois règles, on lui promettait qu'elle ne serait pas expulsée de chez elle par son propriétaire, et ce même si elle avait trois loyers de retard.
Encore fallait-il réussir à suivre la première règle. En deux semaines, elle n'avait pas atteint le quart de son quota, et ce malgrés les nombreuses demandes des clients. Elle en refusait la majorité.
Quant à Yon, qui était chargé de récupérer l'argent des filles, chaque jour. Il les protégeait aussi lorsque les choses dérapaient entre elles et les clients violents. Mais c'était surtout lui qui donnait son accord pour que "la fille" puisse partir avec le client. "Carmen" n'arrivait pas à lui donner d'âge. Il changeait souvent de style vestimentaire, mais elle avait déjà remarqué qu'il portait toujours de prestigieuses marques. Peut être avait-il le même âge qu'elle? Difficile à deviner, il était caché derrière ses lunettes de soleil, peu importe la météo. Mais Yon était peut-être le seul qui lui disait des mots gentils, l'encourageait ou la protégeait ne serait-ce qu'un minimum. Elle ne se leurrait pas ; il était engagé pour ça, pour que "les filles ne s'en aillent pas" et qu'elles "ramènent un maximum d'argent". Néanmoins, elle l'appréciait quelque peu, malgrés leur relation uniquement... professionnelle?
— Je sais... soupira t-elle, Je ne sais pas comment je vais me débrouiller mais lui je... Je ne pouvais pas, tu comprends?
La dénommée Carmen se mit à trembler. Le jeune homme posa sa main sur son épaule, essayant de la réconforter. Autour d'eux, Tokyo s'agitait un peu plus. La soirée touchait à sa fin, et la plupart des fêtards trouvaient difficilement le chemin de leur domicile, alors que la nuit ne faisait que débuter pour certain. Pour Carmen, cela signifiait qu'elle commençait seulement son "travail" et que de longues heures à patienter sur ce trottoir l'attendaient.
Elle leva la tête, essayant de capter la faible lueur des étoiles. C'était impossible. Pendant un cours instant, elle souhaitait même prier ce Dieu auquel elle ne croyait pas, prier de toute ses forces que sa vie ne s'améliore ne serait-ce qu'un peu.
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Re: Memento Mori
VampireC'est peut être la simple histoire de deux monstres qui essaient d'apprendre à vivre dans un monde qui ne les acceptera jamais. Ou c'est peut être l'histoire de deux personnes qui recherchent leur propre définition de l'humanité. Bienvenue à vous. _...