Recroquevillé dans un coin de sa cellule, il attendait. Ses yeux parfaitement habitués à l'obscurité percevaient la fine goutte d'eau qui ruisselait le long du mur. Il se referma un peu plus sur lui même, il détestait cette humidité ambiante et dégoulinante. Une autre goutte apparue le long des pierres et roula ensuite pour glisser le long de ses chaînes. Combien de temps devait-il encore attendre qu'on vienne le chercher ? Il haïssait ce qu'elles lui faisaient, il maudissait son corps qui leur procurait du plaisir, mais il détestait plus que tout être enfermé, seul, dans le noir. Ici, on perdait toute notion du temps. Alors ses pensées divaguaient, seul moyen trouvé pour ne pas se concentrer sur cette faim qui lui prenait les tripes en permanence, d'oublier cette voix qui hurlait dans le fond de son être, qui vociférait de tuer, arracher, déchiqueter.
Il s'accrochait au peu de souvenirs restant. Le rire innocent de sa soeur résonnait encore, la vision de son sourire avec ses petites dents manquantes semblait être gravée dans son esprit. Et pourtant : il ne se rappelait plus de son nom. Ni du sien, d'ailleurs. Les jours, semaines, passés ici effaçaient petit à petit ces images et il avait compris que, tôt ou tard, il ne resterait plus rien de sa vie d'avant. Un sourire mélancolique se dessina sur ses lèvres, il n'était plus que l'ombre de lui même ; un démon qui espérait garder quelques liens avec son humanité révolue. Hier encore, il se souvenait du visage de celle qu'il appelait "mère" quelques années auparavant, aujourd'hui il n'en restait plus rien. Le jeune homme poussa un long soupir. S'il avait la possibilité de s'ôter la vie, il n'hésiterait pas un instant : il pourrait mourir avec le peu de dignité qui lui restait, et s'assurer qu'il ne blesserait plus personne.
Si son esprit était encore quelque peu présent, il se désolait de ne plus aussi bien contrôler ses faits et gestes. Il n'arrivait plus à parler depuis ce jour, et seuls des grognements bestiaux sortaient de sa gorge. Son visage s'apparentait à ceux des yōkai dépeints sur les estampes et ses doigts étaient dotées de griffes. Les haillons lui servant de vêtements couvraient à peine son corps devenu squelettique. Il voulait qu'on l'achève. Il ne voulait pas vivre un instant de plus ainsi, mais ce n'était pas dans les plans de ses geôliers. Il élaborait alors des stratagèmes pour qu'on le tue sous le coup de la colère, lorsqu'on le sortait pour donner du plaisir aux autres démons. Cependant, sa marche de manoeuvre étant limitée par les chaînes, tous ses plans n'avaient été qu'échecs jusqu'à présent. Pas grave. Il réussirait tôt ou tard.
Un bruit lointain le sortit de ses réflexions. Il n'arrivait pas encore à mesurer les distances, mais c'était définitivement un bruit de pas qui se rapprochait de sa cellule. Étrange, il avait déjà été appelé quelques heures plus tôt, les rendez-vous n'étaient pas aussi proches habituellement. Curieux, il redressa la tête en direction du bruit. Il distinguait au moins trois différentes allures. Il ne recevait jamais autant de personnes en visite, quelque chose était inhabituel.
La faible lueur de la bougie l'aveugla sur le moment, il ne supportait plus la moindre lumière. Ses yeux s'adaptèrent lentement avant de percevoir trois formes, humaines en apparence, se tenant devant lui. L'une d'elle était son geôlier. Avoisinant les deux mètres, le gardien de cellule était imposant, son armure de samouraï et le sabre porté à sa ceinture renforçaient sa musculature impressionnante, et ses yeux bleus perçants vous coupaient toute envie de discuter avec. Les deux autres silhouettes, féminines, lui étaient inconnues. Il décida de se rapprocher de la barrière pour mieux les voir, le grincement de ses chaînes annulant toute tentative d'approche discrète. Une des deux femmes, japonaise au physique des plus banals et d'âge mûr, possédait un visage fermé et des cheveux tirés. Il avait le sentiment qu'elle appartenait à la même classe que les autres monstres féminins qu'il côtoyait lors de ses rendez-vous, peut-être était-ce lié à ses yeux violets. La troisième et dernière silhouette était bien plus frêle ; il était certain qu'il s'agissait d'une femme de petite taille. Son visage était caché par un voile posé sur sa coiffe, le tissu de son kimono et les motifs cousus dessus démontraient qu'elle était issu d'un rang prestigieux. Que pouvaient-elles bien lui vouloir?
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Re: Memento Mori
VampireC'est peut être la simple histoire de deux monstres qui essaient d'apprendre à vivre dans un monde qui ne les acceptera jamais. Ou c'est peut être l'histoire de deux personnes qui recherchent leur propre définition de l'humanité. Bienvenue à vous. _...