Partie 5 - Taion

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Dans son petit studio, Emi plissait les yeux pour lire son livre. La minuscule fenêtre ne laissait plus passer assez de lumière et la jeune femme avait oublié de changer la dernière ampoule qui venait de rendre l'âme hier. Assise sur son lit, elle soupira avant de refermer son livre. Elle n'y voyait plus assez pour lire et, de toute façon, elle n'arrivait pas à se concentrer. Instinctivement, la jeune femme effleura ses lèvres. Cela faisait une semaine aujourd'hui et elle ne comprenait toujours pas ce qu'il s'était passé. Comment ce dénommé Natsu connaissait-il son prénom ? Seul Yon et ses supérieurs le connaissaient. Pourquoi avait-il payé aussi cher pour finalement ne rien faire avec elle ? Et surtout : pourquoi avait-il été si gentil avec elle ? Emi se prit la tête entre les mains puis se massa les tempes. Elle n'arrivait pas à retirer cette vision de son esprit ; ses délicates lèvres contre les siennes, la singularité de son regard... Elle fronça les sourcils. "Ressaisis toi, Emi." Elle soupira et se décida enfin à sortir : il était temps d'acheter une nouvelle ampoule.


Elle devait rendre des comptes dans cinq jours. Ses chiffres n'étaient pas atteints. Sans parler du "surplus" qu'elle était censé empocher, il n'y en avait pas. Elle ne savait pas encore comment elle allait pouvoir payer ses factures et avec quel argent elle allait se nourrir. Mais elle ne serait pas foutue à la porte, même si le loyer n'était pas payé. "C'est déjà ça" soupira-t-elle. Demain était un autre jour, se dit la jeune femme. Chaque chose en son temps, il fallait déjà se concentrer sur les clients de ce soir. Il y en aurait forcément un ou deux corrects avec elle, n'est-ce pas ? Carmen tentait de se convaincre.

Elle commençait à connaître par coeur le quartier de Shin-Okubo, ce quartier coréen à l'ouest de Tokyo. C'était dans ce secteur qu'elle faisait le trottoir depuis quatre semaines ; parfois au niveau du karaoké, parfois près de la gare, parfois dans des ruelles moins fréquentées. Pas vraiment touristique, ce quartier avait une position stratégique relativement importante pour les clans de yakuza de la ville ; il était directement relié à Shinjuku, un des plus gros quartiers de Tokyo. De ce qu'elle avait vaguement pu entendre, ce quartier était actuellement disputé par deux grandes familles, mais elle n'en savait pas plus. Carmen préférait ne pas se mêler à ce genre d'histoire ; elle avait déjà conscience qu'elle travaillait pour des gens louches, elle ne voulait vraiment pas en savoir plus.

Ce soir, la pleine lune était splendide, mais sa majestueuse lumière semblait bien pâle face aux lumières que Tokyo émettaient.

Faisant les cents pas près d'un distributeur automatique, Carmen ruminait. La jeune prostituée réfléchissait à beaucoup trop d'éléments à la fois : son quota, ses examens, ses factures, et... Natsu. Absorbée par ses pensées, elle n'avait pas vu la vieille dame qui sortait de son immeuble et manqua de la renverser. Carmen s'inclina aussitôt en s'excusant, gênée d'avoir oublié que la rue appartenait aussi à ses habitants. La vieille dame rigola puis lui dit gentiment :

— Mais tu n'as pas froid, habillée ainsi ?

Carmen releva la tête. La dame, âgée de plus de soixante dix ans, était emmitouflée dans un épais manteau, une écharpe et un bonnet. Elle tenait en laisse un adorable shiba qui reniflait les coins du distributeur pendant qu'elles discutaient. La vieille arborait un sourire bienveillant, ce dont Carmen avait peu l'habitude, surtout venant des habitants du quartier qui voyaient d'un mauvais oeil la présence des prostituées.

— Non, madame.

— Très bien, fais attention à toi alors.

La vieille dame tourna les talons, accompagnée de son chien et s'en alla dans la direction opposée. Cette rencontre, aussi courte fut-elle, remonta le moral de la jeune femme qui ne pu s'empêcher de sourire à son tour. La vue du chien qui trottait auprès de sa maîtresse la fit ensuite doucement rire.

Re: Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant