Nathalie Smith frappa une dernière fois dans le punching-ball avant de passer une main sur son front plein de sueur. On ne saurait dire si le léger soupir qui s'échappa alors de ses lèvres relevait du soulagement ou du bien-être : l'entraînement avait été dur, certes. Mais il était toujours source de grande satisfaction pour la jeune demoiselle ; comme tout bon sport qui se respecte, il avait en effet une vertu que l'on pourrait désigner de curative, permettant ainsi à Nathalie de se décharger de toute cette colère qui sommeillait en elle et menaçait de la submerger au quotidien. Car la jeune fille avait la fâcheuse tendance de s'énerver très rapidement, et cela de manière parfois très violente : en dix-sept ans, les parents Smith ne comptaient plus le nombre de fois où leur fille unique avait été convoquée par ses différentes directrices pour indiscipline, insolence, insultes et/ou coups sur ses camarades, voire sur certains de ses professeurs. Ce qui les agaçait et les attristait au plus haut point avait fini par devenir, au fil des années, une certaine habitude, bien ancrée dans leur routine quotidienne ; ainsi, tous les derniers vendredis de chaque mois, les époux Smith rencontraient une directrice ou un proviseur à bout de nerfs devant les nombreux méfaits et le sourire narquois et quelque peu moqueur de Nathalie. Ils avaient le droit à un très long discours sur l'importance de bien éduquer ses enfants et sur les conséquences à long terme d'un si sale caractère : avaient-ils envie que leur chère enfant devienne une recluse de la société ? Une paria ? Tout parent était censé vouloir le bien-être de ses enfants. Alors pourquoi pas eux ? Qu'attendaient-ils donc pour la raisonner ? Pour la sanctionner et la remettre sur le droit chemin ?
Face à ce sermon qui durait parfois plus de deux heures – et perturbait ainsi tout le programme de la petite famille , les parents de la jeune fille ne ressentaient désormais qu'une grande indifférence et un vague ennui ; car, comme je l'ai moi-même dit précédemment, ils étaient plus qu'habitués à ces remontrances et estimaient, après dix-sept années de dur labeur, qu'ils en avaient fait assez. Parce que, oui. Ce que les directeurs et directrices en face d'eux ne soupçonnaient jamais, c'était que, pendant une bonne dizaine d'années, les parents de Nathalie Smith avaient été à leur place. Pendant plus de dix ans, Mary et Ernest Smith s'étaient eux aussi arrachés les cheveux. Eux aussi avaient tempêté contre leur fille, l'avaient sermonnée, sanctionnée et faite pleurer. Mais aucun mot ni aucune punition n'avait pu venir à bout du mauvais comportement de leur fille : même un séjour d'un mois en pleine campagne chez son grand-oncle qui collectionnait et ne parlait que timbres de poste – et était également sourd comme un pot, ce qui faisait qu'on devait lui hurler cinq fois la même chose à l'oreille avant qu'il ne comprenne quelque chose –, n'y avait rien fait.
Non, vraiment, les parents Smith avaient épuisé leurs ressources depuis bien longtemps et, avaient, au fil du temps, arrêté de comprendre ce qui poussait Nathalie à agir comme elle le faisait. Ils avaient fini par s'y habituer, se contentant de hausser les épaules et de soupirer d'un air las à chaque fois qu'une personne de leur entourage se permettait de leur faire une réflexion à ce sujet. Pour eux, ce côté bagarreur, susceptible et colérique faisait désormais partie intégrante de leur fille et ils avaient appris, bon gré mal gré, à vivre avec.
Nathalie aussi, avait pris l'habitude de vivre avec. Pour peu qu'elle se rende compte de ses écarts, bien évidemment : la chose arrivait d'ordinaire tellement vite, que la jeune fille avait bien du mal à pouvoir l'anticiper et à agir en conséquence. Lorsque la colère prenait possession de son être et de son esprit, c'était de façon soudaine, comme se déclencherait une crise d'épilepsie ou d'angoisse ; Nathalie avait à peine senti la vague arriver que cette dernière était déjà là, terrifiante et incontrôlable. Il devenait alors impossible de la prévenir et elle s'abattait tel un terrible ouragan sur sa victime. Ce n'était qu'après, lorsqu'elle avait fini d'insulter autrui ou de lui mettre quelques coups de poings bien placés ou encore qu'elle s'était fait jeter de cours et avait atterri dans le bureau du proviseur qu'elle réalisait ce qu'elle avait fait. Parfois, elle en ressentait une certaine culpabilité. Mais pas toujours : cela dépendait surtout de celui qui avait fait les frais de sa colère, s'il le méritait ou non. Si la personne lui avait cassé les pieds pendant des semaines – ou même durant ne serait-ce que cinq petites minutes –, et qu'elle s'était montrée désagréablement casse-pieds, alors ce n'était pas la culpabilité qui envahissait Nathalie, mais une certaine fierté ; celle d'avoir pu faire taire son enquiquineur.
VOUS LISEZ
Dans l'œil des Chasseresses - Tome 1 : Où les destins se croisent
FantasíaTrois jeunes filles âgées de onze, quinze et vingt ans. Trois vies bien différentes. Un même destin.