A bout ... Portant: Première partie

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Je ne sais pas vraiment dans quelles circonstances nos chemins se sont croisés, pour une nouvelle fois. J'avoue qu'encore aujourd'hui, je n'arrive pas à décider si c'est Dieu ou le Hasard qu'il faudrait blâmer pour nos retrouvailles.

La journée était belle quand elle avait commencé. Elle a cessé de l'être lorsque mon regard, incrédule a culbuté sur ta silhouette, si singulière et si familière à la fois. Mon cœur a raté un battement lorsque mon cerveau, traversé par un douloureux éclaire, a fini par poser ton nom sur ton ombre qui se détachait parmi celles de tes camarades. Mon souffle s'est coupé, une goutte de sueur glacée a roulé sur mon front. C'est à peine si j'ai senti la main de Maria, ma meilleure amie, se poser sur mon épaule.

" Hé! Steph ! ça ne va pas ? Tu es toute pâle. "

Je crois que j'ai sursauté. Maria a fait un petit bond en arrière et m'a jaugée de ses grands yeux curieux. J'ai regardé autours de nous sans ne plus porter la moindre attention aux yeux bruns remplis d'inquiétude qui me scrutaient en silence et j'ai profité d'un moment d'inattention de notre encadreur pour entraîner ma meilleure amie jusqu'aux toilettes les plus proches.

" Mais enfin ! Steph ! Qu'est-ce que tu as ?!

- Chuuuut. Parle moins fort. J'ai vu Julien ...

- Impossible ... Tu es sûr que c'est lui ?

- Oui ! Puisque j'te l'dis. "

Elle avait fait la moue. Quand Maria fait la moue, c'est qu'elle est septique. Elle m'a signalé que j'avais " vu Julien", au moins trois fois durant la dernière semaine. Et qu'à chaque fois, il s'était avéré que ce n'était pas lui. Pourtant cette fois, j'en étais certaine. La monture de ses lunettes, la forme de ses épaules, les courbes de son dos, l'épaisseur de son cou ... C'était lui.

" Qu'est-ce que tu vas faire ?

- Mettre le plan à exécution.

- Tu es sûre ?

- Je crois ... "

Elle m'a serrée dans ses bras. Je me suis sentie comme un soldat qui allait risquer sa vie sur un champs de bataille ... Et probablement la perdre. Comme un combatant qui se lançait dans une mission suicide , et à qui on disait adieu. Maria sentait la vanille et la cannelle, malgré la chaleur inhabituelle qu'il faisait, par cette belle journée de mai. J'ai mis de l'ordre dans ma petite robe noire, et rajusté le chignon haut et le make-up que je m'étais appliqués à faire en sortant de chez moi.

" Tu es magnifique, ma belle. Aller. Bonne chance. T'en fais pas pour l'encadreur, j'te couvre."

Elle a posé un bisou de petite sœur sur ma joue avant de me tourner le dos, d'ouvrir la porte des toilettes et de se retourner une dernière fois pour me balancer un sourire par dessus son épaule et une petite phrase du genre " on reste en contact ! " Puis elle a disparue. Le silence m'a heurté de plein fouet et j'ai senti mon courage se dissiper en regardant mon reflet apparaître dans le grand miroir sale, pendu au-dessus du lavabo. Je ne devais pas me dégonfler. Pas maintenant. J'avais rêvé de ce moment. Je ne pouvais pas manquer ma chance de discuter avec toi. De comprendre... Je n'étais pas particulièrement laide. Mes dents étaient peut-être un petit peu trop grandes par rapport au reste de mon visage (qui était tout petit d'ailleurs), mais mes yeux étaient magnifiques quand on se donnait la peine de les regarder briller derrière mes lunettes. Je suis sortie de ma cachette plus déterminée que jamais. J'ai marché quelques minutes pour m'arrêter aux pieds d'un petit escalier qui donnait sur une petite balustrade surélevée. De là, je pourrai voir tout le monde. Sans attendre, j'ai grimpé les marches une à une, et laissé circuler mon regard sur la foule d'étudiants qui se trouvaient là. Je commençais à croire que tu étais parti quand mon regard a trébuché sur ton visage. C'était bien toi, avec tes cheveux bruns, tes yeux claires, tes allures d'ours mal léché, tes gestes de Don Juan. Discrètement, j'ai attendu que tu te détaches de la foule, que tu t'isoles pour te débarrasser du nœud de ta cravate, comme tu le faisais toujours. Je me suis sentie faiblir en te voyant bousculer les gens à toute allure pour quitter le rassemblement. L'opportunité venait à moi. Il fallait que je la cueille. Elle ne viendrait pas deux fois. Pourtant, les membres tremblants, le souffle court, je n'avais rien trouvé de mieux à faire que de me rouler en boule sur moi-même, de défaire mes cheveux de gitane comme si les faire couler sur mes épaules me permettrait de mieux respirer. J'ai retiré les talons dorés qui me martelaient les pieds, et, en reprenant mes esprits, je me suis levée pour voir si je t'avais manqué. A ma grande surprise, tu étais debout sous ma balustrade, les mains dans les poches de ton pantalon de smocking. Maintenant que tu m'avais vue, on ne se quittait plus des yeux. J'ai fait le premier pas vers l'escalier, en posant lentement mon pied nu sur les dalles froides de la première marche. J'ai senti ton regard glissé sur mes jambes nues, ton visage se tendre et j'ai senti une rage sourde monter en moi. Avec un sourire que je voulais froid, je t'ai fixé du regard, aussi longtemps que j'ai pu, les doigts négligemment serrés sur la boucle de mes talons, jusqu'à ce que ton regard brûlant, ne me soutienne plus. Sans crier guard, j'ai tourné les yeux d'un air hautain et j'ai senti tes mâchoires tomber de surprise.

" Steph ! Steph ! Attends !"

Clair-obscure et autres histoiresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant