« Ceux qui croient que lire est une fuite sont à l'opposé de la vérité : lire, c'est être mis en présence du réel dans son état le plus concentré - ce qui, bizarrement, est moins effrayant que d'avoir affaire à ses perpétuelles dilutions. » Amélie Nothomb
Alors que j'allais commencer mon exploration des lieux, une impression assez bizarre finit par attirer mon attention. Des mèches de cheveux pendaient sur mes épaules. Or, cela doit faire plus de deux ans que j'ai opté pour une coupe courte.
Non mais attends, là... Depuis quand ont-ils autant repoussé ?
Même ma tenue avait changé !
J'étais affublée d'une robe à l'ancienne, constituée d'un tissu vert pistache, avec des manches courtes bouffantes, un col Claudine, et une jupe arrivant en dessous des genoux. Le tout agrémenté d'un tablier blanc, de pantalons en dentelles et de plusieurs jupons.
Quelle horreur ! Moi qui déteste les tenues à froufrous du genre petite fille modèle ! Peut-on faire une crise d'urticaire à un style vestimentaire que l'on a en horreur ?
Par chance, mon téléphone portable était aussi du voyage. D'une main peu assurée, je parvins à le déverrouiller pour voir à quoi je pouvais bien ressembler, grâce à l'appareil photo intégré. D'abord incrédule, je finis par me renfrogner en constatant que non seulement j'avais à nouveau les cheveux longs, mais aussi un ruban noir, comme les ballerines à boucles que je portais.
Je reconnus alors ce costume. À la différence de la petite fille qui l'arborait à l'origine était blonde aux yeux bleus et que sa robe était couleur azur. Du moins, dans la version du film d'animation signé par les Studios Disney. En d'autres termes, je me retrouvais, ne me demandez surtout pas comment, affublée de la tenue d'Alice au Pays des Merveilles. Là, je commençais à en avoir sérieusement ma dose ! D'un geste rageur, j'arrachais le ruban à mes cheveux et -oh surprise- ils redevinrent comme avant, c'est-à-dire courts et un peu bouclés. L'amas qui s'était formé à mes pieds ressemblait à des pages de livre déchiquetées en petits morceaux. Un vent léger commença à les éparpiller et ils disparurent bien vite de ma vue.
De plus en plus étrange.
Ce monde ne cesserait-il donc jamais de me surprendre ?
Avisant le genre de tenue qui ne me plaisait pas du tout, j'entrepris de lui faire subir le même sort en déchirant tout, à la barbare, avec le même bruit de papier. Bien vite, le charme s'étiola tandis que je retrouvais mon « uniforme » habituel ; à savoir jean bleu délavé, des bottines élastiquées couleur chocolat et un pull vert olive à manches longues et au col en V parsemé de quelques petites perles.
Bon, c'est vrai que le vert était devenu ma couleur préférée, après une longue suprématie du bleu. En fait, j'aimais bien le beige, le marron, voire même le noir.
Là encore, la tenue ridicule dont je me suis défaite finit par terre, en un tas de papiers déchirés. Mon sac à dos noir avait été presque enseveli et j'en profitais aussi pour le récupérer. Je réalisai que j'avais encore dans la main l'outil qui pourrait m'aider à sortir d'ici. Pour un peu, je me serais flanqué des gifles pour ne pas y avoir pensé tout de suite, alors que c'était bien la première chose dont je me servais dès qu'il s'agissait de trouver son chemin dans un endroit inconnu.
Le GPS de mon smartphone !
Le GPS, ou Guide du Paumé Solitaire, n'aura sans doute jamais aussi bien porté son nom que maintenant. Avec un peu de chance, ça pourrait marcher. Enfin, une lueur d'espoir ! Ou pas.
En réalisant ce qui n'allait pas, mon sourire disparut encore plus vite qu'il ne s'était dessiné sur mes lèvres : aucun réseau dans les environs. J'eus beau enclencher à plusieurs reprises l'activation du Wi-Fi, rien ne se passa pour autant. Impossible aussi de faire appel à la localisation par satellite dans ce cas.
Et merde...
Dépitée, je rangeais l'appareil dans une des poches du sac, histoire de préserver au mieux la batterie. Un drôle de réflexe, puisque ce ne serait pas ici non plus que je pourrais appeler un taxi pour me ramener chez moi. Je lâchais alors un soupir de frustration.
Le champ des possibilités se réduisait à trouver la Sortie au plus vite. Ce qui ne me réjouissait pas des masses si le décor environnant était bien un Labyrinthe. Une construction pouvant être d'une extrême complexité, avec moult intersections, fausses pistes et autres impasses qui auraient vite fait d'emprisonner quiconque ayant eu la mauvaise idée de s'y aventurer. Sauf que je n'avais pas demandé à me retrouver ici ! En règle générale, à moins d'avoir déjà une vue d'ensemble de l'édifice, un plan en somme, on ne pouvait visualiser d'une traite le chemin à parcourir.
Dommage de ne pas avoir ce genre de document.
Il y avait aussi l'astuce consistant à longer le mur de droite avec la main dessus et sans jamais l'enlever. En espérant que cela s'avérerait exact ici.
Je me mis donc en chemin d'un pas vif, en gardant toujours en vue la paroi de droite, à défaut d'y laisser ma main en contact. Compte tenu des épines qui y fourmillaient, cela semblait un peu plus sûr. Au bout de quelques minutes, le trajet m'avait déjà fait prendre quelques virages et je n'ai évité que de justesse de me retrouver coincée dans une impasse.
Ce qu'il y avait de plus impressionnant ici : le silence absolu.
Pas le moindre bruit, ni même le souffle du vent, et encore moins de présence animale. Pas de chant d'oiseau non plus. Chose très curieuse pour quelqu'un qui a l'habitude que cela soit bruyant partout. L'espace d'un instant, j'avais envisagé d'enfiler les oreillettes du baladeur MP3, histoire de marcher avec de la musique, mais cela aurait usé les batteries à toute vitesse. Tant pis.
Il ne me restait plus qu'à réfléchir aux propos tenus par ce type plus que bizarre.
Le Fou a expliqué qu'il faudrait arpenter le Labyrinthe dans lequel j'étais enfermée, et ce jusqu'à trouver un espace qui corresponde à ma réalité si je voulais espérer la rejoindre un jour.
Rien que ça ! Alors que je bosse pour une entreprise dont le pain quotidien consiste précisément à faire oublier la réalité aux visiteurs et à les transporter dans un monde imaginaire.
Sans compter que la réalité n'a jamais été mon fort, et ce depuis ma plus tendre enfance.
On aura beau dire, mais le monde qui m'entourait ne me plaisait pas et je préférais m'évader à travers des univers fantasmagoriques. Comme les dessins animés qui passaient à la télévision dans les années 1980 et que je dévorais avec avidité, fascinée par ces images qui prenaient vie derrière la lucarne de la télévision.
Les dessins animés. J'en bouffais au kilomètre.
Rémi sans famille me rebutait tellement que je changeais de chaîne dès le début du générique. Trop larmoyant et déprimant. Même la voix off avait des intonations limites dépressives. Princesse Sarah était une imbécile que j'aurais volontiers secouée pour la pousser à se rebeller contre ceux qui la maltraitaient. Seule Candy m'amusait un peu avec son côté garçon manqué.
De toute façon, les princesses Disney étaient logées à la même enseigne : Blanche-Neige n'était qu'une cruche (vide), Cendrillon semblait adorer se faire exploiter par des bons à rien, et la Belle au Bois dormant tombait trop dans les stéréotypes de la gourdasse qui n'est bonne qu'à pioncer en attendant que son prince ne rapplique au galop. Pas des modèles à suivre, en somme.
Non, j'aimais mieux d'autres dessins animés. Du style She-Ra (la frangine de Musclor), Ulysse 31, Jayce & les Conquérants de la Lumière (dont je n'ai jamais vu la fin) ou encore Les Mystérieuses Cités d'Or dont je raffolais. D'ailleurs, si la plupart des gens ont adoré la partie documentaire qui accompagnait chaque épisode, je m'en désintéressais complètement. Preuve s'il en fallait que la réalité me passionnait moins que la fiction.
J'adorais la mythologie gréco-romaine aussi. Ce qui me rappela le mythe de Thésée, du Labyrinthe construit par Dédale pour y emprisonner le Minautore, et le fil d'Ariane qui permit au héros de retrouver son chemin.
Super, maugréais-je avec un brin de mauvaise humeur, me voilà dans une situation presque similaire. À ceci près que je n'ai pas la moindre envie de me retrouver nez à nez avec un être mi-humain, mi-taureau et que je n'aurais pas dit non à un repère quel qu'il soit pour... filer d'ici, si je puis dire.
Marcher ainsi, toujours en faisant attention à ne pas perdre de vue le mur de droite, eut au moins le mérite de me laisser le temps à la réflexion, mais aussi à d'autres interrogations.
En attendant de trouver ce lieu semblable à l'un de ceux qui marquaient mon quotidien, est-ce que je ne vais pas finir par mourir de soif ou de faim ici ? Y aurait-il seulement un endroit où se reposer un peu ? Voire aussi pour y satisfaire d'autres besoins pressants ?
Les histoires de mon enfance me revenaient alors en mémoire, alors que je continuais à marcher le long des allées pavées. Ce ne serait pas déplaisant de parvenir à la maison des Trois Ours, quitte à jouer la Boucle d'or un peu squatteuse. Mais ce qui serait le plus plaisant serait, à l'instar de la Blondine de l'histoire racontée par la Comtesse de Ségur, de pouvoir rester durant des semaines sans avoir à se soucier de la faim, de la soif, de la fatigue ou autre contrainte le temps de son (très) long voyage à dos de tortue. Voilà qui serait parfait ! À défaut d'avoir une tortue pour me porter sur son dos, je me contenterais bien de ça dans l'immédiat.
En attendant, je songeais aussi au lapin dont j'avais perdu la trace après qu'il ait disparu derrière le tableau où se trouvait le Fou. Il était quand même très mignon et j'aurais bien aimé le retrouver. Quelque part, j'avais le sentiment de l'avoir toujours eu près de moi, au cours de ma vie.
Tandis que j'en étais là dans mes pensées, je constatais avec désarroi le peu de chemin parcouru. C'est alors que je me risquais à jeter un coup d'œil en arrière.
Un frisson venait de me saisir dans la colonne vertébrale.
Quelque chose n'allait pas et je le sentais très nettement. Une impression diffuse, mais qui ne m'était pas inconnue.
L'impression d'être suivie.
Oui, mais par qui... ou par quoi ?
Ilsemblerait bien que je ne sois pas la seule à errer ici.
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Errances
Random« Lire, c'est voir le monde par mille regards, c'est toucher l'autre dans son essentiel secret, lire c'est la réponse providentielle à ce grand défaut que l'on a tous, de n'être que soi. » Serge Joncour De hautes parois verdoyantes, constituées d'...