« J'ai appris que le courage n'est pas l'absence depeur, mais la capacité de la vaincre. » Nelson Mandela
Un lion !
Qu'est-ce qu'un lion pouvait bien fabriquer dans cet endroit ?
Okay, j'ai toujours aimé les chats et il y en a eu à la maison bien avant ma naissance, mais pas d'aussi imposant. Ni d'aussi dangereux.
Me voilà tremblante comme une feuille. Pourtant, malgré la panique qui venait de me saisir, il m'était difficile de m'empêcher de trouver cet animal magnifique. Sans doute l'un des plus beaux que j'ai pu voir, que ce fut en vidéo, dans des films (où ils sont réalisés en images de synthèse), ou sur des photos. Sauf qu'à présent, j'aurais préféré et de loin que celui-ci ne soit qu'une photo, et non pas un modèle en chair et en os prêt à se jeter sur moi.
De sa taille imposante et de sa silhouette musclée émanait une aura de puissance... et de majesté aussi. Après tout, le lion est considéré à juste titre comme le roi des animaux. Son abondante crinière évoquait les flammes de l'astre solaire. Une impression renforcée par la couleur vibrante de ses yeux mordorés qui semblaient étinceler.
Son aura devait m'avoir ôté jusqu'à la simple volonté de fuir, à moins que mon inconscient soit en plein déni du danger mortel pourtant imminent. En d'autres termes, mon cerveau avait court-circuité.
Le rugissement que poussa le lion, dont le regard impérieux était toujours rivé sur moi, eut au moins le mérite de m'arracher à cet état de torpeur et je fis demi-tour pour détaler aussi vite que mes jambes le permettraient ! La vision de ses crocs acérés ayant beaucoup aidé.
Pourtant mon instinct savait qu'il serait impossible d'espérer lui échapper de cette façon. Ce félidé, même s'il lui arrivait d'être un gros ramier, était surtout un chasseur implacable d'une mortelle efficacité. Comme pour confirmer cette pensée, l'animal n'eut aucune difficulté à me rattraper en quelques sauts bien enchaînés sur des éléments environnants de la fête foraine, alors que la porte par laquelle j'étais arrivée ne se trouvait plus qu'à quelques pas derrière moi.
Il s'en fallut de peu pour que je parvienne à l'atteindre.
Sauf que le lion semblait avoir compris qu'il venait de me prendre au piège. Il s'avançait lentement, d'un pas assuré, prêt à me bondir dessus. Bien vite, mon dos heurta le bois de la porte. Peut-être un espoir de m'en sortir ? Pas sûr ; je tremblais comme une feuille et je n'arrivais pas à saisir la poignée. À l'instant précis où le félidé se ramassa sur lui-même, la porte finit par céder sous mon poids et s'ouvrit à la volée, me faisant rouler en arrière. À peine arrivée sur le dos au sol, la silhouette massive du lion me survola littéralement et je manquais de me tordre le cou afin de suivre sa trajectoire. Il se réceptionna avec l'agilité propre aux représentants de son espèce... à ceci près qu'il glissa sur l'une des flaques d'eau qui jonchaient le sol pavé. Son atterrissage en fut quelque peu désordonné, mais cela me laissa au moins le temps de me remettre debout.
Si l'environnement avait changé, on ne pouvait pas en dire autant de la situation. Le lion se trouvait devant moi, prêt à attaquer. Comment espérer m'en sortir ? Sauf que là, un rapide examen des lieux m'aida à repousser la peur qui m'étreignait. J'étais de retour dans la partie du Labyrinthe avec les colonnes parcourues par un jet d'eau.
Il y aurait sans doute quelque chose à tenter.
L'occasion de jouer le tout pour le tout, même si le côté aberrant de ce que je m'apprêtais à faire venait de m'apparaître dans toute son ampleur. Pour un peu, on se serait presque cru dans un épisode de l'une de ces séries télévisées que je regardais après les cours.
Tandis que le lion continuait à avancer dans ma direction, un coup de patte manqua de me frapper de plein fouet, me rappelant que je n'avais pas le droit à l'erreur.
Maintenant !
Au moment précis où le lion prit son élan, j'en fis autant pour agripper le haut du chambranle de la porte, en espérant qu'il tienne le coup. D'une traction sur les bras et je me hissais le plus haut possible, les jambes tendues au maximum, en évitant de peu que l'animal ne m'atteigne au passage. Emporté par son élan, le lion retomba sur une autre flaque d'eau qui lui fit perdre l'équilibre. D'un mouvement dont je ne me serais jamais cru capable en cours de gymnastique, j'effectuais un demi-tour et, toujours agrippée en haut de la porte, je me propulsais en un mouvement de balancier pour frapper le lion des deux pieds au niveau du flanc, ce qui l'expédia quelques mètres plus loin, à nouveau dans le monde forain abandonné.
Pas le temps de crier victoire ; le lion se redressait déjà, plus furieux que jamais, à en croire le rugissement qu'il poussa en me voyant lui opposer de la résistance. Le voilà qui revint à la charge ! Je n'eus que le réflexe de rabattre les deux battants de la porte et de réussir à la verrouiller grâce à la clef que j'avais eu la bonne idée de conserver.
Je m'adossais à la porte, bien contente de percevoir cette séparation tangible entre moi et le roi de la savane qui se retrouvait enfermé de l'autre côté. Le moment était venu de retrouver une respiration moins chaotique et un semblant de calme aussi.
Ouf... C'était vraiment moins une !
Cet instant de soulagement prit fin quand la pointe des griffes du lion traversa le bois de la porte, juste de part et d'autre de ma tête, me faisant hurler au passage alors que je me ratatinais autant que possible par terre.
Est-ce que la porte tiendrait le coup si jamais le fauve se prenait d'envie de la déchiqueter à coups de patte ? Peut-être pas longtemps face à une telle montagne de muscles. Le répit aurait alors été de (très) courte durée. Du moins, semblait-il. Le calme était revenu et plus aucun bruit ne me parvint de l'autre côté de la porte. Je résistais alors à l'envie de coller mon oreille contre le bois patiné afin d'entendre ce qui pouvait bien se passer, de peur que quelque chose ne finisse par me tomber dessus.
C'est le cœur battant à tout rompre, sans doute autant de joie d'être encore en vie que pour se rappeler à mon bon souvenir, que je me retrouvais de nouveau assise par terre, adossée à la porte. Tant pis pour les pierres humides et froides. Après une telle épreuve, il me semblait normal de vouloir essayer de reprendre mon souffle, mais aussi mes esprits. D'autant plus qu'il y avait un véritable maelstrom émotionnel dans ma tête ! Outre la peur d'avoir failli mourir et la joie indicible d'avoir survécu, il me fallait compter avec le couperet provoqué par la fatigue accumulée depuis mon arrivée dans le Labyrinthe.
Tiens, à ce propos d'ailleurs...
Un coup d'œil circulaire confirma que j'étais bel et bien à l'endroit qui m'avait tant amusée avec les jets d'eau arqués courant d'une colonne à une autre. Pour un peu, après avoir échappé à un lion affamé, j'en aurais presque crié d'une allégresse à peine retenue.
— Ouais ! J'suis revenue dans le Labyrinthe ! Attends...
L'instant de joie ne dura pas, lui non plus, et la réalité de ce que je venais de dire de façon un peu trop enthousiaste me sidéra.
— Quelle espèce de terrine de bécasse à la dinde je suis ! Quitte à fuir le lion, j'aurais préféré me retrouver chez moi. Dans mon monde d'origine. En tout cas, pas dans le lieu que j'avais quitté pour suivre bien inutilement mon ancien moi !
Le fait qu'il n'y ait personne d'autre ne m'avait en rien échappé, mais ma réflexion à haute voix avait été involontaire. Du reste, je ne m'en souciais d'aucune façon que l'on me surprenne en grande conversation avec moi-même.
— Ben alors... On dirait que tu n'étais pas partante pour devenir le dîner de ce brave minou, fit une voix moqueuse qui ne m'était pas inconnue.
Elle semblait provenir de ma gauche. La vue du jeune homme impertinent rencontré un peu plus tôt au sortir d'un tableau me fit sursauter.
— Le Fou ! m'exclamai-je. D'où est-ce que tu sors, comme ça ? Tiens, à ce propos... Où diable étais-tu donc passé, alors que tu aurais pu me venir en aide face au danger ? Nan, laisse-moi deviner. Tu es resté bien planqué, fis-je remarquer non sans une amère ironie.
— Disons que je n'ai qu'un rôle d'observateur dans l'histoire.
Ben voyons, comme si j'allais te croire.
— Ouais, c'est ça ... Espèce de faux jeton !
— Tu vocifères pour rien, ma grande, et ça ne te mènera nulle part. Alors, dis-moi plutôt ce que l'exploration du monde derrière cette porte a pu donner.
— Mis à part le fait que j'ai failli me faire bouffer par un lion, pas grand-chose de probant. J'étais déjà allée dans des foires étant enfant, mais aucune ne ressemblait de près ou de loin à celle que je viens d'arpenter. Non, rien qui ne soit proche de ma réalité, comme tu dis. Sois gentil de m'expliquer comment trouver ce que tu m'as indiqué sans y passer des années. Si chaque porte recèle des choses tout aussi réjouissantes, voire pires, autant les éviter.
— Explique-moi... Explique-moi... À quoi cela te sert-il d'avoir des yeux si tu n'observes pas ce qui t'entoure ?
— Hein ?
— Il y a certaines choses que tu devras découvrir par toi-même. Par exemple d'où peuvent bien venir ces impressions de déjà-vu que tu as pu avoir en arrivant ici. Tu auras ainsi un début de piste pour retrouver ton chemin vers ce que tu appelles la réalité.
Sur ces mots, il disparut, me laissant plus seule que jamais. Ou presque, étant donné que Lapinou m'accompagnait désormais.
Même si la peluche avait quelque chose d'apaisant, j'aurais volontiers tué ce Fou.
Un objet attira alors mon attention. Sur le pavage du sol, non loin de moi. Le Fou l'avait peut-être oublié en s'éclipsant à l'instant. À moins qu'il ne l'ait laissé à mon attention. Allez donc savoir avec lui.
C'était un étui en cuir carré, fermé par un rabat à pression, qui renfermait quelque chose. L'objet en question était de forme arrondie et plane, de quelques centimètres d'épaisseur, avec un cadran en laiton massif. Sur le couvercle était gravée une citation de J. R. R. Tolkien : « All that gold is not glitter, all not those who wander are lost, the old that is strong does not wither, deeps roots are not reached by the frost. » À l'intérieur, il y avait une double flèche avec les lettres « S » et « N » à chaque extrémité. Le fond était orné d'une rose des vents simplifiée, avec les quatre points cardinaux écrits en anglais.
Il s'agissait d'une boussole.
Très pratique pour s'orienter, une fois que l'aiguille aimantée a localisé le nord. Sauf qu'en l'occurrence, celle-ci était dotée d'une aiguille avec un tempérament rebelle qui ne cessait de pivoter sur elle-même, sans se fixer sur aucune des quatre directions principales.
Là, on venait de franchir une nouvelle étape dans la bargitude de ce monde de plus en plus abracadabrantesque.
Oucomment se retrouver à l'ouest, avec pour seul guide une boussole qui a perdule nord.
~ FIN DE L'EXTRAIT ~
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Errances
Random« Lire, c'est voir le monde par mille regards, c'est toucher l'autre dans son essentiel secret, lire c'est la réponse providentielle à ce grand défaut que l'on a tous, de n'être que soi. » Serge Joncour De hautes parois verdoyantes, constituées d'...