Le journal de Mathieu (6)

Jour 53

Quand je regarde mon emploi du temps, je me rends compte à quel point ma vie a changé depuis que je suis arrivé dans cette nouvelle ville, dans cette nouvelle école. Avant, je n'avais pas à réfléchir. Toujours seul dans ma chambre, je n'avais le choix qu'entre bosser mes cours, jouer à l'ordinateur, regarder la télé ou mater des films pornos. Maintenant, je dois gérer les sorties avec les amis, la course avec Sébastien, le tennis avec Fabien, la natation avec l'équipe et la boxe avec Cyril. En plus, alors que c'est déjà bien chargé, j'en rajoute.

C'est avec un peu d'appréhension que j'ai retrouvé Olivier à la salle de sport. Jusque-là, j'avais le privilège de pouvoir me muscler dans un espace privé, avec un coach particulier. On prend vite ses aises et ses habitudes.

— Il y a du monde !

— On est samedi, c'est normal.

Se changer devant les autres, devoir mettre des vêtements de sport parce que ça ne se fait pas d'être nu en public... J'ai eu du mal. Nous avons commencé par un échauffement sur le tapis de course avant de nous attaquer aux appareils de musculation.

Olivier est extrêmement gentil. Il connaît plein d'exercices que je n'avais pas exploré avec Steven. Pourtant, sans surprise, ce n'est pas la même chose. Je suis beaucoup moins motivé de faire du sport dans une salle publique qu'en privé. Il faut partager les machines, supporter les regards des autres. C'est une toute nouvelle façon de s'entraîner et je vais devoir m'adapter.

— Salut les mecs.

Un homme s'est approché. De notre âge et pourtant d'apparence beaucoup plus virile. Sans doute l'effet produit par sa pilosité ! Il a fait les bises à Olivier.

— Mathieu, je te présente Franck. Franck, Mathieu.

Bon, il m'a fait les bises aussi. Il nous a rejoints pour l'entraînement.

Comme je n'avais pas pratiqué depuis plusieurs jours, j'ai eu du mal à aller au bout de la séance.

— Je vais retrouver ces bonnes vieilles courbatures.

— On va faire un tour au sauna, ça aide à limiter les dégâts.

Tous les trois, serviette autour de la taille, nous nous sommes installés dans cette pièce ultra chaude. Comme si nous n'avions pas assez transpiré ! En plus, ils ont ajouté plusieurs fois de l'eau sur les pierres, faisant augmenter la température jusqu'à un niveau presque insoutenable.

— Mathieu, on ne voulait pas le crier dans la salle de sport, mais Franck et moi on est ensemble.

Je n'ai pas été déçu, bien au contraire. La première chose qui m'est venue à l'esprit c'est : « ils vont super bien ensemble » !

— C'est cool. Depuis longtemps ?

— Un an et deux semaines.

— Ah ouais, quand même !

À nos âges, c'est une éternité. Et j'ai bien aimé la précision des « deux semaines ». Ils comptent, je me demande quand on arrête de compter...

— Vous vous êtes rencontrés comment ?

— Ici, dans la salle de sport.

— On s'est plu tout de suite. On a commencé à pratiquer ensemble et puis, de fil en aiguille, on a craqué l'un pour l'autre.

— Génial !

— T'es vraiment sympa, Mathieu. Olivier m'a parlé de toi, j'étais un peu jaloux qu'il te décrive comme un mec super mignon et cool. Mais il a raison.

— Merci.

— On organise une fête ce soir, tu as déjà quelque chose de prévu ?

Il aurait fallu que je jette un œil à mon téléphone pour ça. Mais Sébastien m'avait dit qu'il sortait avec sa nouvelle copine, pareil pour Fabien. Donc à part Céline, personne ne pouvait me proposer quoi que ce soit.

— Avec plaisir.

— Super !

Je me suis lancé sans vraiment savoir ce qui m'attendait. Je n'ai pas réfléchi. Maintenant, quand on me propose des trucs, je dis oui. Quand on commence à se faire des amis, finalement, on en a jamais assez. Il y a un effet boule de neige. Avant, j'étais toujours dans mon coin, je ne me mêlais pas aux autres et ils me le rendaient bien en ne venant pas vers moi. À mon arrivée dans cette ville, je me suis tout de suite mis à me faire des amis et du coup, comme on voit que je suis quelqu'un d'ouvert, d'autres viennent vers moi. Je ne sais pas ce qui me bloquait avant, parce que c'est quand même plus agréable d'être entouré par plein d'amis. Je sais que beaucoup de gens ne connaissent pas ce genre de changement, puisque la majorité a toujours eu des amis !

Participer à une soirée avec des personnes qu'on ne connaît pas est toujours un moment assez particulier. Certes, je connaissais déjà Olivier et Franck, mais très peu. Je ne savais pas qui étaient les autres invités ! J'ai essayé de m'habiller le mieux possible pour bien présenter. C'est la boule au ventre que je me suis rendu dans ce nouveau lieu. J'aurais été beaucoup plus fort avec Steven, à qui je n'ai d'ailleurs pas parlé depuis deux jours ! Il semble devenu injoignable, je ne sais pas ce qui se passe, je regarde mon smartphone toutes les cinq minutes mais rien... Il va falloir qu'il s'explique.

— Salut, entre.

Première surprise, parce que je n'y avais pas réfléchi, dans cette soirée il n'y avait que des mecs ! Une dizaine, ce n'est pas beaucoup, mais j'ai vite compris qu'ils étaient tous du même bord que moi. Ma première soirée uniquement avec des gays ! Je n'avais pas encore pensé à cette éventualité. Sauf que ma boule au ventre a tout de suite disparu, je me suis immédiatement senti bien, dans mon élément. Et pour cause...

Je n'ai croisé aucun garçon de mon lycée ! Heureusement, sans doute, j'aurais été gêné. Très vite on m'a intégré. Chacun est venu discuter avec moi, il y avait une excellente ambiance. Une fête normale, évidemment, avec beaucoup d'alcool et un peu d'herbe. Je me suis senti libre. Ici, inutile de jouer la comédie, je pouvais enfin être moi au milieu d'un groupe ! J'ai plusieurs fois raconté mon histoire avec Steven, il était donc comme omniprésent dans cette soirée. Olivier et Franck sont venus me voir régulièrement, ils sont vraiment sympas.

— Tu vas bien ? Les autres ne t'embêtent pas trop ?

— Non, c'est une super fête.

— Nos potes t'adorent, ils te trouvent super cool.

Moi, cool ? Je ne savais pas que j'avais changé à ce point. Ou alors ça a toujours été dans ma nature d'être gentil avec les autres et je ne le savais pas ! En une seule soirée je me suis fait plein d'amis.

Selon moi, c'est une bonne chose que j'aie participé à ce genre de soirée plusieurs mois après mon arrivée. Si j'avais commencé par là, je me serais sans doute enfermé dans un univers gay et je ne serais pas allé vers des gens géniaux comme Sébastien ou Fabien. Enfin je ne sais pas, mais en tout cas les autres mecs présents ne semblent pas trop de mêler avec les hétéros, c'est dommage. Je ne vais pas faire de la psychologie de bazar, pourtant je préfère quand même ma situation. Sébastien et Fabien m'apportent beaucoup, parce qu'ils sont très différents de moi. Je suis évidemment plus à l'aise dans le genre de soirée organisée par Olivier et Franck, mais j'aime bien aussi sortir de ma zone de confort.

En rentrant, j'ai une fois de plus essayé d'appeler Steven. Quand il est deux heures du matin en France, les Américains sont en plein après-midi. Quelqu'un a décroché.

— Je voudrais parler à Steven.

— Il est sous la douche, vous voulez laisser un message ?

Non, je ne voulais pas laisser de message. Je voulais savoir qui était cet inconnu décrochant le smartphone de Steven pendant qu'il est sous la douche. Sous le coup de la colère, j'ai envoyé un mail moins sympa que d'habitude à mon ex petit copain. Mince, c'est la première fois que je vois Steven comme un ex. Est-ce que tout est fini ?