Le journal de Mathieu (6)

Jour 60

Nous sommes entrés dans la boîte de nuit. Pas par l'entrée principale, mais par celle des « artistes ». Du personnel, en fait, mais moi je suis arrivé avec le DJ.

— Tu lui trouves une bonne place. On se parle tout à l'heure.

Il m'a déposé un baiser sur la joue. J'ai honte d'avoir eu un mouvement de recul. Ce n'était pas parce que je ne voulais pas mais simplement parce que j'étais surpris. Un des videurs m'a accompagné jusqu'à un carré VIP, on m'a servi une flûte de champagne. Je n'ai rien demandé, juste savouré ce moment. Irénée sait comment traiter ses invités !

Nous n'étions pas dans n'importe quelle boîte de nuit. Un endroit plutôt chic non loin des Champs-Elysées. Les clients m'ont impressionné. Moi j'étais en jeans et basket. Les autres portaient des costumes et les filles étaient habillées comme si elles se rendaient à un mariage ! Personne ne m'a regardé de travers, au contraire. J'étais simplement le type assis dans un carré VIP donc j'étais forcément quelqu'un d'important.

— Hey. What's up ?

Je me suis retourné. Il a fallu que je dise à mon cerveau de refermer ma bouche et d'éviter de baver. Elle est venue s'asseoir à côté de moi avec ses amies. Cette femme que je n'avais jamais vue qu'à la télévision et que j'aimais bien. Cette riche héritière devenue tellement people.

— You're with Renou ?

Je ne sais pas si j'avais du mal à la comprendre parce que je n'avais pas assez bien suivi les cours d'anglais ou si c'était juste parce que j'étais impressionné par le personnage.

— He's great !

Malgré mon mutisme, elle ne semblait pas m'en vouloir.

Et puis, les lumières se sont quasiment toutes éteintes. Irénée, totalement transformé, s'est mis derrière les platines. Il a lancé sa musique, la foule est devenue hystérique, tout le monde était sur la piste. Paris m'a pris par la main et nous sommes descendus dans la fosse pour nous trémousser. Je n'en revenais pas. Comment était-ce possible ? Il y a une heure j'étais à une fête de lycéens avec mes amis. Maintenant je me retrouvais au milieu d'étrangers à danser avec la fille Hilton. Irénée m'a décoché un clin d'œil trop mignon. J'avoue que pendant un instant j'ai cru que je rêvais.

Au bout d'à peu près une heure trente, alors que les bouteilles de champagne défilaient à notre table, Irénée est venu s'asseoir à côté de moi. Il a passé son bras autour de mes épaules. Je n'ai rien pu lui dire, Paris n'arrêtait pas de lui faire des compliments. Et lui, il répondait comme si l'anglais était sa langue maternelle. Je n'avais pas fini d'être impressionné. Puis il a interrompu la conversation, m'a pris par la main et nous sommes sortis prendre l'air à l'arrière de la boîte de nuit.

— C'est vraiment con cette loi qui nous empêche de fumer à l'intérieur. Bon, au moins ça donne une bonne excuse pour s'échapper. Tu as aimé ?

— Ouais, c'était génial. Comme dit je ne suis pas un spécialiste...

— Dis-moi juste ce que tu as ressenti.

— C'était impossible de rester assis.

— Waouh, ça c'est un beau compliment pour un DJ.

— Tu connais Paris ?

— Oui, tu sais qu'elle mixe aussi. Évidemment, elle se fait bien plus de fric que moi pour ses prestations, mais elle est sympa, elle a ses entrées partout, elle peut me faire connaître.

— C'est génial.

— J'ai envie de t'embrasser.

Ah d'accord. Je ne savais vraiment plus quoi dire. Est-ce que c'était trop rapide ou pas assez ? Est-ce que ça se passait toujours comme ça ?

— Tu as besoin de réfléchir ?

Évidemment que non, c'est juste dans ma nature de cogiter avant d'agir. J'ai fait taire mon cerveau et je me suis collé aux lèvres d'Irénée. J'ai ressenti quelque chose d'étrange. Quelque chose de connu. Quelque chose que je ne pensais plus jamais éprouver. Mon corps a frissonné comme lors de mon premier baiser avec Steven. Mais sur le moment je ne pensais pas à lui, j'étais juste... heureux !