Je suis allongée sur un matelas pourri, aux ressorts rouillés dans un motel miteux et crasseux. J'observe les cafards qui se battent au plafond, je pense. Trop, comme d'habitude. Je lâche une larme. Merde. Ne pas pleurer. Règle nº1. Ils ne le méritent pas.
Je presse les paupières, comme pour chasser la lumière des néons clignotants. Je le lève pour m'habiller. Je dois partir.Je ne regarde pas mes anciens vêtements, roulés en boule au fond de mon sac. Nouvelle identité, nouvelle personnalité. C'est comme ça. Je joue machinalement avec la lame de mon couteau. Mon seul ami, à vrai dire. Lui, il m'aide.
Je le fourre dans mon sac. Mon sac sur une épaule, je laisse le champ de bataille des cafards dans un état encore plus pitoyable qu'il ne l'était quand je suis arrivée. Tant pis. Une seule chose à accomplir, peut importe le regard des gens.
À la gare routière, j'ai encore eu de la chance. Un petit clin d'oeil aguicheur. Un t-shirt peut être un peu trop moulant, et un ticket de bus à 5 dollars. Je me mets tout au fond, toute seule, en attendant que le bus parte. En route pour Philadelphia. Une dernière chose à régler, avant d'enfin trouver la paix.
Le bus part. Je ferme les yeux. J'ai 35 heures de trajet. Je compte bien enfin me reposer, malgré le tissu moisi qui suinte la graisse de poulet. Vive KFC. Avec une petite odeur de frites. Génial. Je pourrais limite citer le repas du dernier obèse assis là. Vive les États Unis. Les autres rêvent peut être d'y aller. Moi je rêve d'en sortir. Je rêve de campagnes calmes, isolées, avec un petit clocher. Ou même de la taîga russe. Des cafés moscovites.
Je m'endors, la tête heurtant la vitre à chaque cahos de la route. Je sens un regard percant fixé sur mon épaule. Je me retourne. Une fille est assise à côté de moi. Une mioche.10 ans pas plus.
"-Je pourrais savoir ce que tu fais là?
- Non. -Sérieusement? Dégage avant que je m'énerve.
-Non."
Elle se retourne et s'endort. Sa tête bringuebale vers moi. Elle a dû attendre que je me réveille, elle a des cernes immenses, d'un violet foncé. Pourquoi elle m'a attendu? Aucune idée. Un coup d'oeil vers sa montre.
Encore 25 heures de trajet. J'ai dormi 10 heures. J'aurais pu dormir beaucoup plus si elle ne m'avait pas réveillé. Je grogne. Je n'arriverais jamais à me rendormir. Je lance un regard énervé à la fillette. Et si je la réveillais, pour voir? J'ai nettement sentie qu'on me tapotait l'épaule, même si elle faisait semblant de rien. Mais non. Elle est si mignonne. Si éveillée elle ne fait guère plus de 10 ans, là elle en parait 8.
Visage d'ange embellit par la beauté du sommeil. Son faux air de dure s'est évanoui en même temps qu'elle. Petite poupée fatiguée. Un nouveau cahos sur la route, et sa tête se retrouve sur mon épaule. Je soupire.
Au fond, on est toutes les deux pareilles. Petites filles abandonnées, qui essayent de jouer au dures, comme une petite de cinq ans essaye les chaussures de sa maman. Sauf que nous, la fin sera sans doute bien plus tragique. Putain de destin de merde.
Et voilà. Je vais pleurer pour une gamine que je ne connais pas. Si ça se trouve, ses parents sont juste là. Je me dégage doucement, enlevant ma veste pour la rouler sur l'accoudoir et qu'elle soit bien installée. Je scrute les passagers, tous endormis, pendant que je vais aux toilettes à l'avant, à la recherche de ses parents. Une junkie au visage plein de traces noirâtres, un débardeur métal, et des marques aux creux de ses coudes. Un obèse qui ronfle, 5 pots de KFC vides à côté de lui. Sans doute le cousin de l'ancien proprio de mon siège. Un couple. Ils sont mignons à vomir. Endormis chacun sur l'épaule de l'autre, main dans la main. Tu parles. Tu verras, les gars sont tous pareils. Tous des salauds. Et je t'assure que j'en sais plus que toi. Ça pourrait être eux, mais ça colle pas. Ils ont 16 ou 17 ans, et je devine le ventre arrondi de la fille sous sa chemisette. Dans deux semaines tu es toute seule chérie, je te le garantis.
Je reviens à ma place. La petite se tient toute droite. Je m'asseoit à ma place, non sans difficulté puisqu'elle n'a pas bougé d'un millimètre quand je suis passée. J'engage la conversation. Je n'ai que ça à faire après tout.
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Juste une vie de plus.
Não FicçãoMême si personne ne s'intéresse à elle, elle a une chose à faire. Avant de sauter.