— Il est encore parti ?
— Ta gueule, Enguerran.
Le destinataire de cet échange verbal amer se rembrunit plus subitement que si on lui avait annoncé la mort de Rudy. Son regard – d'ordinaire alimenté d'une espièglerie candide pour laquelle on ne pouvait que fondre – s'assombrit pour ne plus devenir que le reflet de la tristesse qui l'habitait.
— Je demande juste s'il est parti ! Arrête de jouer l'insensible, Gia !
Enguerran était sur le point de pleurer. Si Gia le savait, c'était parce qu'il avait remarqué que son nez moucheté de quelques taches de rousseur commençait à se retrousser de plus en plus violemment à mesure qu'il retenait les sanglots menaçant de lui transpercer les paupières. Gia le vit se mordre l'intérieur de la joue dans l'espoir d'étouffer la colère que son indifférence lui inspirait et il consentit finalement à rendre les armes dans un soupir.
— Désolé, lâcha Gia du bout des lèvres en détournant le regard.
Du coin de l'œil, il aperçut les prunelles brûlantes de désapprobation d'Ameline et un bref mais intense échange oculaire finit par le convaincre d'enrouler une main autour du crâne d'Enguerran pour l'attirer contre son torse.
— Rudy revient toujours, dit Gia en l'empêchant de se soustraire à son étreinte.
Enguerran fit mine de se débattre quelque secondes avant de s'effondrer dans les bras de Gia en laissant libre cours aux pleurs qu'il retenait malgré lui depuis de trop longues minutes. Et qu'il s'appliquait désormais à étouffer contre le sweatshirt de son ami.
— Gia a raison, appuya Ameline en attrapant l'éponge humide qui gisait sur le bureau de Rudy. Il revient toujours.
— Comment tu le sais ? balbutia aussitôt Enguerran en quittant les bras dans lesquels il s'était réfugié une minute auparavant.
Bien que le contact humain rapproché ne soit pas ce que l'on pourrait appeler sa tasse de thé, Gia prit sur lui pour ébouriffer la chevelure couleur caramel d'Enguerran et lui donner cet aspect indomptable qui plaisait tant à Rudy. Comme ça et avec ses yeux qui habituellement étincelaient de malice, il ressemblait à un diablotin sur le point de mettre l'une de ses farces à exécution.
— Parce que lorsque j'ai rencontré Rudy, il m'a dit être une éponge à sentiments, répondit Gia après une seconde de silence. Puis plus tard, il m'a appris que les éponges ne vivaient pas sans substrat. Substrat composé de sédiments qui leur sont vitales pour se développer et survivre.
Ameline l'écoutait distraitement en se mordant sauvagement les ongles de la main gauche tandis qu'Enguerran dardait sur Gia des prunelles avides de réponses.
— Et puis il m'a dit que les gens comme nous représentaient son substrat et que pour cette raison, il ne pourrait jamais nous quitter complètement.
Ces paroles arrachèrent un ultime sanglot à Enguerran, mais cette fois-ci ponctué d'un sourire plein d'affection pour Rudy.
— Donc écoute-moi quand je te dis qu'il reviendra, insista Gia en lui offrant son plus éblouissant sourire. Rudy a simplement besoin d'aller éponger les émotions qui le consument avant de revenir absorber celles que notre substrat lui procure.
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RUDY
PoetryRudy est une véritable éponge à sentiments : toutes les émotions que les gens ne réussissent pas à filtrer, il les encaisse, les combine aux siennes et laisse son organisme les absorber jusqu'à ce qu'il soit contraint de coexister avec. Empathe, hyp...