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PERSONNE N'EMBÊTAIT Enguerran à l'école

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PERSONNE N'EMBÊTAIT Enguerran à l'école. Et pour cause ! Gia n'était jamais bien loin : tapi dans l'obscurité telle une ombre sournoise, toujours prêt à bondir pour rassasier les autres de son mépris silencieux, parfois presque comparable à un félin qui ne ferait rien d'autre qu'attendre un faux mouvement de votre part pour pouvoir planter ses crocs aux paroles aiguisées dans la jugulaire de votre esprit : il était connu des camarades de classe d'Enguerran.

— Giaaaaa !    

En temps normal, Enguerran ne s'en plaignait pas. Il préférait profiter des super-pouvoirs de son aîné à défaut d'être aussi intimidant que lui.

— Lequel ? s'enquit aussitôt Gia en plissant les yeux pour survoler une foule d'élèves turbulents d'un regard de prédateur glacial.

S'il lui arrivait d'être intransigeant envers Enguerran, Gia avait la fâcheuse manie de se métamorphoser en maman-poule quand il s'agissait de le protéger de la cruauté des autres. Comme s'il craignait qu'on ne finisse par lui inculquer.

— Le grand avec une casquette, décrivit Enguerran en plongeant se réfugier sous l'aisselle de son ami. Il s'appelle David.

Gia se concentra afin de repérer le garçon qu'il lui décrivait : hilare l'instant précédent, le concerné resta tétanisé lorsque son regard fut intercepté par une paire d'yeux comme il avait rarement vu et qui lançaient des éclairs résolument assassins.

— Tu vas aller le voir ? demanda Enguerran d'une toute petite voix étouffée et plaintive.

Gia lui dissimula un sourire torve – qu'il agrandit cependant à l'intention de David, histoire de souligner son effet – avant de pointer un pouce au-dessus du crâne roux d'Enguerran, qu'il remonta jusqu'à sa gorge pour l'effleurer de façon horizontale ; à la manière de quelqu'un qu'on égorgerait.

— Je suis pas sûr que ce soit nécessaire, répondit Gia quand il vit le visage de David devenir plus incandescent qu'un feu tricolore et ses jambes flageolantes déguerpir dans une direction opposée. Le message a l'air d'être passé.

Il sentit la cage thoracique d'Enguerran s'essouffler de son appréhension d'une grande expiration qui se répercuta jusque dans ses côtes. Une faible pression sur l'épaule l'encouragea à rompre leur étreinte et à s'éloigner de l'établissement scolaire.

— Y'en a toujours un pour emmerder le monde la veille des vacances ! s'exclama Gia avec une once d'incrédulité dans la voix. C'est quand même pas croyable.

Enguerran croassa sourdement et remonta les bretelles de son sac à dos avec l'air abattu de quelqu'un ayant abandonné l'idée d'approfondir la question.

— Ça craint le collège, conclut-il en accélérant le pas, devançant Gia. La sixième craint. Les gens craignent.

Gia pressentit à l'intonation de sa voix et à sa démarche hâtive qu'Enguerran s'empêchait de fondre en larmes. Sentit sa gorge se nouer. Il savait qu'il n'aurait pas dû lui reprocher aussi souvent et injustement ses crises de sanglots par le passé, sans quoi il ne serait pas ici à tenter de le semer dans l'objectif de lui masquer sa tristesse.

— Engie... fit-il en tentant de l'attendrir par l'emploi de son surnom.

Enguerran ralentit, s'arrêta brusquement sur le trottoir et enfouit son visage entre ses mains en gémissant.

— Rudy craint.

Et ces deux derniers mots balancés avec rage et frustration furent comme un signal d'alarme pour ses glandes lacrymales qui commencèrent aussitôt à inonder ses joues d'un flot de larmes brûlantes.

— Je redouble la sixième et il est même pas avec moi.

Ayant plus ou moins admis être un minable pour consoler les gens depuis bien longtemps, Gia se contenta dans un premier temps d'ébouriffer affectueusement la tignasse couleur flamme d'Enguerran. Avant de lui tendre une poche en papier kraft avec son prénom gribouillé au marqueur sombre dessus – et qui portait les cicatrices d'un trop rude voyage dans le creux d'une poche trop étroite.

— Il parvient toujours à l'être un peu, dit Gia.

Après s'en être emparé avec la vivacité d'un oiseau fondant sur sa proie, Enguerran découvrit une montagne de ses friandises préférées et un mot de Rudy lui assurant de ne plus jamais le laisser redoubler à l'avenir. Jamais : ce dernier mot avait été tout aussi soigneusement que sauvagement souligné au stylo bic rouge. Une bonne quinzaine de fois.

— À chacun son super-pouvoir je suppose, couronna Gia.

Mais Enguerran ne l'écoutait déjà plus, s'acharnant à refouler ses larmes pour dévorer les marshmallows et la promesse de Rudy avec un espoir qui réussit de nouveau à faire luire ses yeux bruns d'un éclat ingénu.

RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant