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RUDY AVAIT LE sentiment que ses joues s'étaient transformées en pierre

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RUDY AVAIT LE sentiment que ses joues s'étaient transformées en pierre. Sa marche acharnée de la nuit, combinée à une brise singulièrement glacée et aux larmes qui n'avaient cessé de rouler sur ses pommettes – pour y tracer deux grands sillons salés – lui donnaient l'impression que sa peau avait durci. Davantage encore depuis qu'il avait entrepris de faire claquer ses mâchoires dans l'optique de patienter sans plus avoir à observer le ciel tristement maussade de ce premier jour de fuite. Ou de sevrage, comme s'amusait à le taquiner Gia. Car c'était bel et bien ce que Rudy entreprenait en s'arrachant de la sorte d'ERSAN : un putain de sevrage qui ne manquerait pas de lui serrer le cœur et de lui gonfler la cervelle d'interrogations qui – il le savait plus que quiconque – risqueraient de le pousser jusque dans les plus sombres aspects de sa personnalité.

Rudy ne savait pas exactement quelles étranges mécaniques agitaient son cerveau mais il lui semblait bourré de contradictions, tiraillé en permanence par la panoplie de décisions que l'univers s'acharnait à vouloir lui balancer dans la figure. Et pire que tout : son esprit semblait continuellement devoir encaisser les vagues d'émotions que ces décisions procuraient aux gens. Non seulement Rudy galérait plus que de raison avec ses propres sentiments ; mais en plus il se voyait contraint de se taper ceux des autres ! Car c'était bien ce que représentaient ces foutus bipèdes sans le moindre filtre émotionnel à ses yeux, bien que ces deux mots puissent parfois sonner trop caustiques au creux de l'oreille : une contrainte. Ils étaient une contrainte supplémentaire à son existence. Et pourtant Rudy ne pouvait s'empêcher de s'immiscer dans leur quotidien souvent plus pénible que le sien pour espérer pouvoir les en soulager.

En BREF – bien qu'il ne sache clairement pas l'être – ses congénères avaient la particularité de réussir à lui causer de nombreux tracas et autres noeuds au cerveau qui finissaient par le faire s'enfuir loin d'ERSAN. Non pas qu'il soit enthousiaste à l'idée de leur causer de la peine ou motivé d'un souhait purement égoïste, mais Rudy se devait d'instaurer une certaine distance avec eux afin de réfléchir efficacement. Loin des émotions que laissaient immanquablement transparaître leurs paroles, leurs regards ou leurs gestes. Car Rudy savait écouter. Il savait conseiller et prendre du recul. Serrer les dents, baisser les yeux. Au fil du temps, il avait même appris à ne plus rien laisser filtrer des sentiments qui le prenaient aux tripes. Pour protéger ses proches. Pour les protéger de leur colère qui deviendrait la sienne, de leurs pleurs qu'ils ajouteraient aux siens ou de leur mal-être peut-être invisible mais omniprésent qui s'imbriquerait en lui comme un carré de sucre se dissout dans du thé brûlant.

Rudy aimait se comparer à une antenne-relais. Mais une antenne-relais un peu pétée, solitaire. À sens unique. Certainement pas la première ni la dernière sur Terre, capable de percevoir et d'analyser les émotions des gens plutôt que d'émettre ou de recevoir des ondes électromagnétiques. Primate ou machine, il était un véritable fiasco dans les deux rôles. Rudy émit un petit rire mélancolique, basculant son visage blafard vers le ciel pas moins pâle pour y imprimer la marque de son regard féroce. Car c'était bien tout ce dont il disposait pour faire s'effacer aux yeux des autres son apparence juvénile, la douce candeur de ses gestes ou encore l'absence totale et injustifiée de masse musculaire que le génome humain s'était amusé à lui refiler : deux grands iris aux allures carnassière, d'une couleur à en faire pâlir de jalousie le lagon de Bora Bora et polis d'une hardiesse ayant déjà réussi à en faire flanchir plus d'un.

RUDYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant