Partie 1

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-"Trois cafés je vous prie, j'en aurais besoin" je demande avec dédain.

Je suis particulièrement irrité et irritable le matin. Alors j'attends mon café pour aller acheter mes croissants froids et sans goût chez le petit boulanger en face. Le pauvre, il faut bien qu'il vende lui aussi.

La serveuse est lente mais je ne suis pas pressé, alors je regarde ses moindres gestes comme toujours. Elle prend la tasse, pose la tasse, verse le café dans la tasse, verse le lait dans la tasse et me donne la tasse.

-"Tu t'ai encore trompée de commande. J'ai demandé trois cafés pas un café au lait" je lui fais remarquer avec le même ton.

Elle éclate de rire et je suis perplexe. J'ai conscience d'être agaçant avec elle depuis le premier jour que j'ai débarqué dans ce café mais elle semble complètement indifférente. Cette fille m'intrigue.

-"Je ne te donnerais pas trois cafés, alors maintenant tu te tais et tu déguste" rétorque t-elle.

-"Je t'énerve ?" je demande.

-"Non, j'aime bien que tu viennes tous les matins commander la même chose et consommer ce que je veux que tu consommes" me dit la serveuse avec un grand sourire.

Elle ne manque pas de me faire remarquer que je n'ai jamais eu mes trois cafés. C'était chocolat chaud, thé aux fruits, capuccino ou n'importe quoi que je n'ai pas voulu. Pour être honnête, j'aime son audace. Un autre client aurait fait un scandale mais je décide de mettre de côté mon énervement matinal.

-"Je me demande bien ce que tu vas me donner demain" je dis en jouant des sourcils.

-"Tu te sens bien ? C'est moi ou tu as cessé de te plaindre ?" s'étonne t-elle.

-"C'est juste que je me suis dis que tu ne méritais pas de subir mes humeurs..." j'avoue.

-"Dis moi, qu'est ce qui te mets de si mauvais poils le matin ? Quand tu passes des fois l'après-midi tu es un autre homme".

-"Disons que le matin je porte le poids de la journée que je vais passer alors que le soir je me sens libéré" je réponds.

-"Ton travail ?" demande t-elle légèrement inquiète.

-"Ouai" je réponds simplement.

-"C'est quoi ton travail ?".

-"Je réponds à des appels inutiles de personnes âgés qui se demandent comment changer de chaîne sur leur télé ou de particuliers à la recherche d'un restau pas cher".

Penser à mon travail me fatigue déjà.

-"Si tu n'aimes pas, pourquoi tu travailles là ?"

Sa question m'a tellement pris de cours que je n'ai pas pu répondre. "Pourquoi tu travailles là ?". Je me le répète en boucle sur le trajet. Au début ce n'étais qu'un petit boulot pour me faire un peu d'argent le temps de faire autre chose. Puis, mon patron a trouvé judicieux de me donner une promotion, une deuxième et une troisième. Pourquoi ? Je n'en sais rien. Je fais mon travail certe, mais de là à multiplier mon salaire par cinq. Je ne vais pas mentir en disant que mon salaire ne m'intéresse pas. Gagner 6500€ par mois me plaît énormément. Pour un jeune homme de 23ans professionnellement perdu depuis le lycée et qui n'a jamais été à l'Université, c'est plus qu'une aubaine. Mais l'idée de gagner cet argent en ne faisant rien de mes journées me donne une grande culpabilité. Des hommes et des femmes se tuent à la tâche pour ne rien gagner. Je suis tout sauf égoïste. Et je ne suis pas non plus hypocrite. Je veux ce salaire avec plus de choses à faire sans non plus être esclave de mon travail.

-"Bonjour Cédric, tu es en retard" me fais remarquer mon adorable collègue visiblement aussi agacée que moi d'être ici.

-"Je ne suis pas en retard, c'est toi qui es en avance" je réponds.

Elle lève les yeux au ciel manquant s'envoler tant ses faux cils sont longs. Le bruit de ses talons qui s'éloigne me fait du bien. Plus Karine est loin de moi, mieux je me porte. Cette agence est très repoussante. Les murs sont jaune caca oiseau, les bureaux se ressemblent tous. Aucune fantaisie, aucun charme. Ce n'est pas comme ça que j'envisageais ma vie. L'espace d'une seconde l'idée de démission me passe par la tête mais mon salaire fait écho. "6500". "6500". Il n'y a donc que l'argent qui me retiens ici ? Pourtant je ne suis pas matérialiste.

-"Serge, tu me trouves matérialiste ?"

Serge est un homme honnête, alors si c'est ce qu'il pense, il me le dira. Mine de rien j'ai appris pas mal de choses sur mes collègues. Je sais que Serge est fou de sa femme et de ses enfants. Parfois je l'envie, il a l'air si heureux. Il a toujours des photos de sa famille sur son bureau. Moi ? J'ai toujours de la bouffe. C'est déjà ça.

-"Non voyons. Pourquoi ?"

-"Je me demandais simplement comment les gens me voyais" je dis en espérant qu'il me donnera son point de vue sur moi.

-"Tu veux savoir ce que je pense de toi ?" il demande.

-"Bingo".

-"Bon hé bien mon garçon, je trouve que tu es un jeune homme talentueux, intelligent mais trop solitaire".

Cet homme fait toujours comme si j'étais son fils. Quoi que, ça pourrait être le cas.

-"Comment ça ? " je demande.

-"Il faudrait être aveugle pour ne pas avoir remarqué à quel point tu fais tout pour éviter tout le monde. J'ai le sentiment que tu as du mal à t'ouvrir aux autres. J'ai beau essayer de comprendre pourquoi, je n'y arrive pas."

J'ai soudain l'impression bizarre que je peux me confier à cet homme.

-"Je crois que je n'aime pas ce travail. Dès que je suis ici, l'atmosphère devient lourde."

-"Peut-être que tu devrais prendre un congé. Tu sais moi aussi des fois je suis surbooké" il me répond.

Je me demande s'il ne devrait pas plutôt prendre sa retraite, il a largement l'âge, mais je ne lui dirais jamais de peur de le vexer. La conversation s'interrompt quand je reçois mon premier appel de la journée.

-"Allô, les renseignements, où pourrais-je trouver l'amour ?"

Allô, les renseignements ? Où les histoires vivent. Découvrez maintenant