L'Étoile Rêvée était l'endroit idéal si vous cherchiez un restaurant avec un bon rapport qualité-prix, au centre-ville, le tout avec une vue plongeante sur le reste du monde. Il se trouvait au dernier étage d'une des immenses tours qui imposaient leurs ombres sur la ville et ses rues déjà sombres. Lorsque le ciel n'était pas couvert (ce qui n'arrivait que très rarement et ces jours-là, les clients étaient prêts à se battre pour obtenir une place), on pouvait apercevoir les étoiles à travers le plafond de verre.
Le restaurant était réputé pour sa cuisine traditionnelle d'autres temps et les saveurs qu'il ramenait dans le présent. À cela s'ajoutait le côté rustique des tables en bois et des nappes en tissu comme il ne s'en faisait plus.

Il était tenu par Mme Ignie, une femme d'un certain âge aux traits aussi tirés que ses cheveux où se glissaient des mèches blanches. Elle était connue pour son ton tranchant comme ses couteaux en cuisine et ses sourires faux comme le cuir de ses chaussures qu'elle portait fièrement.

Faustine Ignie était sa fille et on pouvait dire qu'elle était sa plus grande réussite après son établissement. À l'écouter parler, Faustine était un génie incompris qui épouserait un riche homme dès qu'elle aurait atteint la vingtaine, alors qu'en réalité, elle était aussi jolie qu'une lotte et avait un pois chiche à la place des neurones. Elle avait cette façon de rire dans les aigus qui agaçait et brisait les tympans par la même occasion. Personne n'osait contredire sa mère lorsqu'elle affirmait que Faustine irait loin dans la vie, surtout quand on voyait sa réaction face à un miroir. La pauvre fille était capable de se confondre avec elle-même et de converser seule comme si son reflet était une personne à part entière qu'elle ne connaissait point.

À côté de Faustine, il y avait Désiré dont l'onomastique était un oxymore total. L'ironie avait fait de ce garçon quelqu'un de trop intelligent pour le reste de sa famille mais qui passait pour le dernier des imbéciles dès qu'il tentait de dire quelque chose. Sa mère lui refilait les tâches ingrates que Faustine aurait pu faire (selon Mme Ignie) mais valait bien mieux que cela (toujours d'après les dires de sa mère) alors qu'en réalité, elle aurait tout simplement été incapable de tenir un balai dans le bon sens. Désiré faisait en silence et en espérant, très sincèrement, que le sort se retournait contre les filles composant sa famille un jour ou l'autre.

Perdue au milieu de ce beau monde, se trouvait Zéphyre. Elle jouait le rôle de serveuse à contre-cœur, et surtout par nécessité. Mme Ignie aimait se vanter, à qui voulait l'entendre, de sa bonté en répétant qu'elle nourrissait, logeait et blanchissait la jeune femme. Au fond, Zéphyre détestait sa patronne. Elle ne se gênait pas lorsqu'il s'agissait de se moquer de sa fille trop stupide pour comprendre le second degré, quand Désiré, de son côté, souriait en coin face à l'ignorance de son aînée. Mme Ignie cherchait désespérément le faux pas ou le mot de trop qui pourrait lui permettre de virer la jeune femme mais Zéphyre était bien trop maligne pour cela. D'autant plus que la maîtresse de maison n'arriverait certainement pas à trouver quelqu'un d'aussi efficace et productif que l'était Zéphyre.

Zéphyre était une jolie jeune femme dans la fleur de l'âge : douce et naïve en apparence. Nombreux étaient les clients qui venaient pour apercevoir ses cheveux flotter au-dessus de son dos dénudé par sa tenue de travail. Et la plupart, comme M. Baltazar, louchait très rapidement, sans avoir un quelconque problème de vue, lorsqu'il voyait Zéphyre se diriger vers leur table.

M. Baltazar n'était pas un habitué de l'Étoile Rêvée, juste un homme curieux de nature qui aimait aller là où le bouche à oreille le menait. Et, en ce moment même où Zéphyre arrivait pour prendre sa commande, il admit qu'il avait bien fait de venir ici et que c'était un plaisir pour les yeux.

La jeune femme prit en note ce qu'il lui demandait entre deux silences où il se perdait dans la contemplation de son décolté. Zéphyre le laissa faire, habituée à perdre les clients lorsqu'elle leur parlait. Elle rangea sa tablette et son stylet dans la poche de son tablier et retourna en cuisine. Elle ne réussit pas à faire un seul pas que M. Baltazar attrapa sa cuisse de sa main bien trop curieuse et audacieuse. Prêt à faire une proposition qu'il considérait comme généreuse, il ouvrit la bouche. Zéphyre ne lui laissa pas le temps de commencer sa phrase. Elle attrapa la main qui enserrait sa cuisse et la tordit tandis que ses doigts relevaient le menton de son interlocuteur dont le regard était perdu on savait où. M. Baltazar n'eut pas le temps de prononcer un mot que la serveuse lui glissait à l'oreille sa vision des choses.

Un rayon de ciel (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant