Chapitre 2 : Un père

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Je suis là, à l'intérieur de celle qui m'a vu grandir et que j'ai vu chérir pendant plus de la moitié de ma vie.

Ma maison adorée.

Tous les détails qui m'ont marqué pendant cette époque de ma vie sont là. Dans le salon je vois le meuble de papa, celui qu'il ne voulait pas vendre, malgré les supplications de maman, celui contre qui je m’étais ouvert le front après un jeu d’enfant, je vois même la petite tache de sang sur le côté.

Je monte à la salle de bain pour voir s'il s'agit bien de cette même maison ou s'il s'agit d’un rêve.

Il est toujours là, le miroir de maman, ou tout du moins ce qu’il en reste. Papa n'a pas pu se résigner à jeter le reste après que maman se soit taillée les veines avec un morceau de celui-ci. Je ne suis pas dans un rêve, c'est bien la maison de mon enfance.

J'entends des voix au rez-de-chaussée, une masculine et l’autre non. Je descends et je vois mon père sur le canapé, cette personne que je déteste. Quand je revois sa tête, après toutes ces années, je me demande ce que je fais dans cette maison. Dans cette maison de l'horreur et du drame familial. J'ai envie de quitter cet endroit, je me précipite vers la porte et quand je m'apprête à l'ouvrir je reçois un coup de jus dans la main qui me cloue sur place. Je regarde à la fenêtre juste à côté, j'ouvre les rideaux et là je vois… Rien. Il n'y a qu'un écran noir. Je l’ouvre et plonge ma tête de l'autre côté, engouffrée dans le vent je vois que toute la maison flotte dans le vide et qu'il n'y a strictement rien à la frontière de celle-ci. Je suis en plein cauchemar.

Je retourne dans son antre. Il est là, placé dans son fauteuil. Je regarde autour de moi et je vois un couteau sur la table de la salle à manger. Je plonge vers lui et m’en saisi afin de le pointer d'un air menaçant et sans peur vers sa tête. Il est hors de question que ce monstre remette ne serait-ce qu'un doigt sur moi, sinon je jure que je n’hésiterai pas à enfoncer mon arme de fortune entre les deux yeux.

« Mais alors Léandre. Qu'est-ce que c'est que ces manières, est-ce comme ça qu'on traite son père qu'on n'a pas vu depuis plusieurs années ? Viens me dire bonjour ma chérie. »

Je me retourne tout doucement à la reconnaissance de cette voix, cette vieille amie, celle qui m'a toujours compris et qui a mal fini.

Maman.

Je lâche le couteau qui tombe et se plante dans le sol, et qui a failli tailler mon pied en morceau. Les larmes coulent d'incompréhension. Elle est là, devant moi et dans ces habits de ce fameux jour. Cette scène est sûrement l'une des choses des plus compliquées qu'il m'a été donné de voir. Cette robe, blanche au niveau de sa poitrine et qui devient rose vers le bas. Je vois un grand trait rouge des deux côtés de ses poignets. J'accours et la prend dans mes bras, elle est froide et mouillée. Mes larmes se mêlent à l'humidité de son corps. Je fais la même taille qu'elle maintenant, je reste dans ses bras ce qui me paraît comme une éternité, un infini inaccessible.

J’ouvre les yeux, m’éloigne de ses bras, ramasse mon couteau et m'avance vers l'homme de la pièce, encore dans le fauteuil et la bouteille de vodka à la main il a les yeux ouverts mais ne réagi pas le moins du monde. Quand maman marche pour me rejoindre près du fauteuil, je la vois boiter avec une grimace de douleur sur son doux visage maternelle. Je me met par terre, soulève sa robe et je vois des jambes couvertes de bleus. Des chevilles aux genoux, des bleus, des bleus et des bleus. J'explose à l’intérieur et j'explose en sanglots en même temps.

C'en est trop.

Je me relève l'arme à la main et je vois ma mère qui pleure. Je me dirige vers cet amas graisseux, plante mon arme sur sa gorge pendant qu'il est dans un état comateux, je regarde maman et lui dit qu’elle n’a qu’à me donner le feu vert, qu'elle mérite qu'on la venge pour tout ce qu'elle a enduré et qu'il lui restait tellement à vivre. Elle prend sa tête entre ses mains et se met à pleurer. Je me met à pleurer aussi bien sûr, le meilleur moment.

Quand soudain je l'entends un bruit de liquide et maman qui se met à hurler : « Attention Léandre ! » Je n’ai pas le temps de comprendre ce qu’il se passe que je ressens une douleur cuisante dans le bras, qui me fais lâcher mon arme. Mon père envoie son pied dedans, il se retrouve à l’autre bout du salon.

Je me sers les dents pour ne pas hurler à la vue du sang qui coule à flot de mon bras, que je ne sens plus. Ma mère court vers lui, il lui met un coup dans le ventre. Elle se retrouve par terre, se tordant de douleur. Il vient vers moi avec le reste de sa bouteille en verre dans la main, me tire et m'accroche au radiateur à côté de la cheminée avec sa ceinture pour mon poignet gauche et ses menottes de jeux pour mon poignet droit, je suis vulnérable et en très mauvaise posture.

Il vient à mon oreille, et sentant son souffle chaud il me chuchote : « Profite du spectacle. »

Je hurle de toutes mes forces. Il vient prendre ma mère sur le sol, comme un chat ramasse une souris morte sur le trottoir. Il se met à la frapper. Dans les dents, le ventre. Ce spectacle est insupportable, je pleure et tire mes bras pour briser mes liens. Je regarde le visage de ma mère, elle pleure en silence en saignant du nez.

Je sens la ceinture qui lâche, j’ai un bras de libre et je fais tout ce que je peux pour me libérer l'autre des menottes. Je tire si fort que je ne sens plus ma main et je me met à saigner, je lâche un petit halètement de douleur. Je vois mon père qui la frappe avec sa bouteille, lui entaillant le dos. Et là, je me souviens que c'est un cauchemar, je plonge alors ma main gauche dans la cheminée et je tombe sur ce que je voulais. Le feu.

Je plonge ma main libre dans le feu et j'ai l'impression que tout mon bras droit fond. Je ne sens plus ma main, ça sent le cochon brûlé. Je me met à hurler de douleur et là, je ne sens plus la douleur.

Je ne ressens plus rien, j'ai l'impression de m’élever dans les hauteurs de notre monde. Je ne sens plus ma main qui est noire et l’autre qui est encore attachée. Mon corps se met soudain à s’élever. Encore. Encore. Je transperce le toit et je suis dans le noir. Je continue à m’élever et plus je suis haute, plus une sorte de brouillard recouvre mon champ de vision. Je me stabilise, dans le vide et dans le brouillard. Je vois une ombre se rapprocher de moi et me dire des choses indescriptibles. Elle répète tout le temps la même chose j'ai l’impression. Elle arrive proche de moi et je discerne mieux ses paroles.

« Léandre…rrive…toi…tend…suis…lui…penseras. »

J’entends un grésillement omniprésent dans ma tête. Il se fait de plus en plus fort. L'ombre arrive soudain proche de mon oreille le grésillement se fait encore plus fort jusqu’à devenir insupportable et tout s’arrête d’un coup pour laisser l’ombre me répéter sa phrase.

« Léandre, j'arrive pour toi. Attend moi. Je ne suis pas celui que tu penseras. »

Je tombe très vite. Toujours plus vite. Je sens mes membres tenter d'attraper quoi que ce soit pour me rattraper, mais je suis dans le vide, mon corps ne se rend sûrement pas compte que je suis sur le point de mourir dans mon propre cauchemar. Je tombe jusqu’à apercevoir mon toit sous moi. Je le traverse à nouveau et vois que toute la maison brûle à cause de mon corps, ou ma main qui était dans le feu. J'arrive toujours plus fort en tombant jusqu’à toucher le sol.

Je me réveille en hurlant et pleurant. Je ne sens plus ma main gauche.

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