Flocon de neige

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Je n'ai vu que toi

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Je n'ai vu que toi. Je n'ai toujours vu que toi.

Une fois en particulier, je me suis demandé comment le reste du monde autour de moi avait pu manquer ça. C'était un lundi de décembre. Il faisait froid, tout le monde avait sorti son gros manteau, celui dans lequel personne n'est vraiment beau avec. La neige tombait depuis deux jours maintenant, et on en avait déjà tous un peu marre. Moi, je détestais la neige.
J'étais de mauvaise humeur ce matin-là, mon pantalon était déjà tout sale, et mes cheveux trempés. Avoir cours de droit pendant les quatre heures qui allaient suivre n'arrangeait pas les choses.
J'ai donc poussé la porte de l'école, comme tous les jours, les mains dans les poches, le visage baissé. Dans la cour, j'ai entendu des voix. J'ai finalement relevé la tête pour pouvoir saluer les gens de ma classe, avant de retourner à mon asociabilité.

Mais tu étais là. Entouré d'une dizaine de personnes, tous emmitouflés dans leurs bibendums qui leurs servaient de manteaux. Certains discutaient entre eux, d'autres avaient, comme moi, leurs têtes du matin, et préféraient rester muets. Mais toi, toi, tu étais différent. L'hiver ne t'avais pas atteint. L'hiver t'allait magnifiquement bien. Tes joues étaient rougies par le froid, mais tu semblais ne pas le ressentir. Tu portais un long manteau bleu foncé, légèrement entrouvert, comme si tu acceptais d'être ami avec le vent. Je me suis approché de votre groupe, sans rien dire, et je t'ai regardé. Tu étais en train de discuter avec quelqu'un, je ne me souviens même plus qui était-ce. En réalité, je ne voyais déjà plus que toi. Je crois qu'un sourire s'était instantanément dessiné sur mon visage. J'observais tes paupières cligner, tes grandes mains s'agiter dans l'air pendant que tu parlais, tes lèvres remuer. Je n'écoutais pas les mots qui sortaient de ta bouche.

Je t'avais déjà remarqué. Comment ne pas te remarquer. Nous avions déjà échangé quelques mots, à la fin d'un cours, pendant une pause, à la machine à café, devant les toilettes. Je me souvenais de chaque phrase prononcée.
Mais toi, je ne sais pas. Tout le monde t'aimait, tout le monde était toujours près de toi, à boire tes paroles, à te tenir la porte, à te servir de l'eau à la cafet. Tu faisais partie de ces personnes chanceuses possédant une aura extraordinaire, tu avais cette petite étincelle qui rendait le sourire aux gens.
Parfois, ça me rendait triste, de ne pas avoir été la seule à voir cette petite lumière qui brillait dans tes yeux. Pour toi, je n'étais qu'une camarade de classe comme une autre, une de celle qui est sympathique, mais qui ne parle pas trop, qui reste dans son coin.
J'aurais aimé sortir de mon coin et faire de mon mieux pour qu'enfin, tu me remarques.

Et alors que je te regardais, ce matin de décembre, un flocon de neige est venu se poser, tout doucement, sur l'un de tes cils. Tu ne l'as pas vu. Ou bien alors, tu ne voulais pas le déranger, et tu as préféré le laisser là. J'ai trouvé ce moment tellement apaisant. Tu étais là, le sourire aux lèvres, sans t'occuper du froid, de la neige, du vent, avec ton nouvel ami le flocon, qui avait atterri sur le bord de ton cil, et qui semblait ne pas vouloir fondre. Lui aussi, t'avais remarqué. Il ne voulait plus te quitter, comme nous tous.
J'aurais voulu rester là des heures, à te regarder, toi et ton flocon, toi et tes mèches de cheveux toutes emmêlées par le vent, toi et tes yeux verts qui ne se posaient jamais sur moi, toi et ton sourire qui ne disparaissait jamais.

Un de tes amis s'est approché de toi, et t'a tendu un café dans un sourire. Les gens ici n'allaient pas acheter des cafés à n'importe qui. Tu étais spécial. J'étais jalouse de toutes ces personnes qui s'intéressaient à toi, qui te voyait comme moi je te voyais, qui avaient tout compris. Moi, je n'osais pas faire le pas. Je restais là, mes yeux plantés dans les tiens. Il ne me manquait plus que ton regard, qui ne m'atteignait jamais. Quand tu me regardais, c'était trop court, trop rapide, j'en voulais plus.

Tu as pris le café dans tes belles mains, tout en remerciant le garçon. Tu as porté le gobelet en plastique sur le bord de tes lèvres, et j'ai imaginé le liquide chaud glisser dans ta gorge.
J'ai admiré tes lèvres roses sur lesquelles s'était déposée une petite mousse de café.
J'aimais ces petits moments de simplicité, où je m'autorisais à t'observer dans tes moindres détails. Ça t'aurait peut-être fait peur, mais mon regard débordait d'amour. J'avais alors cette impression d'être de nouveau une enfant de 10 ans, folle amoureuse du garçon à l'autre bout de la classe, qui détournait le regard lorsqu'elle comprenait qu'elle avait été remarquée. C'était peut-être ridicule, mais j'avais toujours appris à aimer de cette façon.

Tu as fini ta boisson d'une traite, et tu as essuyé le café restant sur tes lèvres du revers de ta main. Un de tes amis t'a montré l'heure sur son téléphone. Tu t'es alors détourné et tu t'es dirigé, toujours accompagné, vers la porte d'entrée. Notre cours allait commencer, et pour rien au monde tu ne serais arrivé en retard. J'ai entendu ton rire, et tu t'es éloigné. Je savais que ce ne serait pas la dernière fois de la journée que je l'entendrais, et ça m'a rassuré.
Je voulais l'entendre encore des heures, des jours, des années. J'aurais voulu te regarder toute ma vie, sans rien dire, sans que tu ne saches rien.

Alors que tu étais en train de rentrer à l'intérieur du bâtiment, je t'ai vu lever le bras, et tu as alors essuyé le flocon de neige, qui attendait toujours sur ton cil. Il s'est évaporé, et puis la porte s'est refermée derrière toi.
Moi, je suis resté là, seule dans la cour, à réfléchir au moment qui venait de se passer. J'ai pensé quelques secondes à ce flocon, qui avait choisi ton cil pour finir sa vie. Avait-il été heureux, lui aussi, de te rencontrer pendant quelques secondes ? Avait-il réalisé la chance qu'il avait eu, de finir sa vie sur ce cil ? Peut-être que j'aurais aimé être un flocon.
Il avait fondu, disparu, mais moi j'étais toujours là. Bel et bien là, sans n'avoir reçu aucun regard de ta part. Mais moi, je ne voyais que toi. Je n'ai toujours vu que toi.

Finalement, peut-être étais-je encore plus invisible qu'un flocon de neige. 

Pivoines et pains au chocolat - Recueil de textesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant