Plic, ploc. Plic, ploc.
Bien emmitouflés dans des imperméables et armés de parapluies, deux enfants jouent au bord du lac. L'un est dynamique, sautillant et agité, l'autre se veut plus calme.
Plic, ploc. Plic, ploc.
Le bruit des gouttes d'eau rebondissant contre sa capuche en toile cirée est assourdissant pour Rayn.
Plic, ploc. Plic, ploc.
Il résonne dans sa tête, dans tout son corps. Il se fracasse contre son cœur, ses poumons. Il s'amplifie dans son diaphragme. Il n'y a plus que ça. Une vague, un tsunami sonore de pluie.
Plic, ploc...
— Rayn, eh Rayn ! T'es pas cap de m'attraper !
Voilà que Sydney aussi s'y met. Enfin, impossible d'avoir la paix tant qu'il n'est pas épuisé. Il n'y a pas d'autre alternative que de jouer son jeu. Plus vite il sera satisfait plus vite tout le monde rentrera au chaud. C'est ce que Rayn a pensé en accélérant progressivement à la suite de son jeune cousin.
Splash, splash !
Les bottes en caoutchouc des deux enfants s'écrasent dans les flaques d'eau boueuses constellant l'herbe humide et glissante. Rayn peut presque la sentir sous ses pieds, à travers sa semelle et ses multiples paires de chaussettes. La course-poursuite s'éternise, jusqu'à ce que, au bord du lac, Sydney freine et fasse de grands signes en criant :
— Eh Rayn, j't'attends ! Viens me chercher !
Rayn, à ce moment de la partie, en a marre. Rayn veut rentrer. Rayn veut s'enfouir sous une montagne de couvertures soyeuses avec un chocolat chaud doux et sucré, pour lire un grand livre sur les animaux. Rien qu'en y pensant, sa peau sous son imperméable ciré frémit de bonheur, ses narines s'emplissent s'une douce odeur de cacao et de lait, et ses doigts, ses petits doigts tremblent d'excitation à l'idée de toucher de nouveau le papier légèrement usé et rugueux. Son corps entier s'emplit d'énergie et ses muscles s'activent pour ce sprint final. La distance les séparant se réduit bien vite, mais infiniment lentement pour l'enfant qui n'attend que son retour au foyer. L'écart s'estompe, jusqu'à ce que le jeune garçon rusé fasse un grand pas de côté, laissant Rayn se précipiter dans le lac, incapable de s'arrêter dans son élan.
Plouf !
C'est à présent l'eau glacée de l'un des nombreux lacs du Lake District qui titille les nerfs de Rayn. Dans ses bottes, à travers ses chaussettes. Sous son imperméable, à travers son pull. Sur son visage, ses lèvres, ses paupières, ses cheveux. Rayn n'est plus pour un instant qu'un corps inerte dans l'eau. Ses yeux, malgré le fait qu'ils soient dans un lac à l'eau trouble, s'ouvrent doucement, puis tout grand, sans pouvoir se refermer. Là, à quelques mètres, au fond du lac, une bien étrange et familière créature la dévisageait.
Quelqu'un d'aussi bien renseigné que Rayn n'aurait pas pu faire autrement que de reconnaître les branchies frémissantes, la grande bouche souriante, les petites pattes toutes frêles et la queue d'un axolotl. Là, au beau milieu de l'Angleterre. Loin, très loin du Mexique. Pas un instant à perdre, il faut le secourir ! S'il reste là, il ne fera sans doute pas long feu, et Rayn s'en voudrait éternellement d'avoir abandonné à un sort si funeste son animal favori.Ses bras s'activent doucement, progressivement, dans une brasse aussi maladroite qu'improvisée. Ses jambes battent rapidement pour lui permettre de s'immerger complètement, se détachant de son sac à dos. Pour Sydney à cet instant, c'est tout ce qu'il reste de Rayn Bethset. Il avance vers le lac, l'air abasourdi et incrédule.
— Rayn... t'es là ? Tu reviens ?
Pendant que son cousin revenait lentement de sa stupeur avant de s'alarmer, Rayn, maintenant à environ deux mètres de profondeur, échange un regard avec l'axolotl. Si celui-ci était humain, il serait probablement bouche-bée face à une telle détermination ou il rirait à gorge déployée devant une telle inconscience. Malheureusement pour lui, il n'est pas en mesure de faire quoi que ce soit pour aider ou noyer l'enfant. Il ne peut que se laisser emporter et ne se débat pas lorsque de petites mains enfantines se referment délicatement autour de lui.
— Rayn, Rayn ! J'suis désolé, reviens, te noie pas !
Quelques bulles se détachent des remous provoqués par la pluie, puis la tête de Rayn émerge de la surface. Ses poumons sont en feu après avoir autant pris l'eau, et elle termine de les vider en toussant. Sydney lui adresse de grands signes soulagés et heureux de constater qu'il n'y a pas de mort à déplorer, mais Rayn reste dans l'eau, sans avancer d'un millimètre.
— Syd ! Ma boîte à goûter ! s'écrie l'enfant trompe-la-mort.
— Quoi ? Tu veux pas venir goûter au sec plutôt ?
— Pas le goûter, ma boîte !Bien que le cadet semble surpris, il plonge la main dans le sac trempé qu'il a pu récupérer pour en sortir une boîte métallique, brillant faiblement en reflétant la lumière accordée par les lourds nuages couvrant le soleil.
— Ça ?
— Vide !En se posant mille et une questions, Sydney s'exécute et vide la boîte de son contenu en engloutissant goulûment les délicieux petits gâteaux préparés par la maman de Rayn avant de lancer le contenant à la victime trempée jusqu'aux os de sa petite feinte. Rayn reçoit un peu d'eau lorsque la boîte atterrit à portée de bras et, maintenant le petit amphibien contre elle pour le protéger, l'attrape pour l'ouvrir d'une main. Son regard est toujours rivé sur l'animal à la peau couleur cuivre, observant Rayn avec le plus grand intérêt. Ce regard perçant et pénétrant n'avait rien à voir avec ce que l'on pouvait ressentir sur des photos ou des dessins, comme s'il pouvait voir jusqu'à l'âme de Rayn. Une âme probablement pure mais aux couleurs particulières, c'est ce qui intriguait l'axolotl secouru.
Pour mettre un terme à cet échange visuel, Rayn fait signe à l'animal de bien vouloir entrer dans la boîte à goûter maintenant remplie d'eau, ce que l'amphibien accepte après ce qui ressemble à un instant de mûre réflexion.Une fois tout le monde de nouveau sur le plancher des vaches, un long et puissant frisson remonte le dos de Rayn, faisant frémir ses vertèbres avant de se répandre dans ses membres. Sydney se confond en excuses et se précipite sur son acolyte pour lui faire un immense câlin mais il voit son attention déclinée pour protéger la boîte.
— Dis Rayn, t'as trouvé quoi ? J'peux voir, dis ?
Rayn pousse un bref soupir et ouvre délicatement la boîte dans laquelle barbotait tranquillement l'axolotl. Celui-ci, se demandant ce qui lui valait encore d'être dérangé, plante son regard dans les yeux émerveillés de Sydney. Il a l'air stupide et inutilement exubérant, trop fatigant pour un axolotl.
— Wah Rayn, t'as trouvé un axolo... lot... lotruc !
— Axolotl, Sydney. Axolotl, reprend Rayn en détachant bien chaque syllabe.L'animal tourne la tête vers Rayn. Cet enfant-là a l'air de savoir comment il fonctionne et de pouvoir l'apprécier à sa juste valeur, et ce ne sera jamais de trop. Ce n'est pas qu'il s'estime au-dessus de tous les autres individus de son espèce actuelle, mais... en fait, c'est précisément cela. Il mérite les meilleurs traitements et, par conséquent, les meilleurs gardiens. Le précédent était trop incompétent.
— Tu vas demander à tes parents de le garder ?
— La garder, oui.
— La ? Comment tu sais ?
— Regarde, tu vois là, juste avant sa queue ? demande Rayn en désignant le cloaque de l'axolotl avec l'un de ses petits doigts.
— Euh... ouais ?
— C'est pas trop marqué, donc c'est une fille.S'il avait eu forme humaine, l'amphibien se serait étranglé. Maintenant c'est une fille ?!
— Comment tu veux l'appeler ? On l'a trouvé dans un lac alors on devrait l'appeler Lake, tu penses pas ?
Rayn fait non de la tête.
— Viviane.
Et en plus il devra porter ce nom-là ?!
— Viviane ? Ça fait mamie !
— Comme la fée Viviane, celle qui donne Excalibur à Arthur.Bon, si on pense à une légende connue pour justifier ce nom, pourquoi pas ? Mais Viviane... voilà bien longtemps qu'il n'avait pas entendu ce nom.
— Faut te sécher maintenant. On rentre ?
Rayn hoche la tête et ils s'en retournent tous les trois chez les Bethset afin de déguster un chocolat chaud et enfiler un pyjama confortable après un tel moment sous la pluie. Et ainsi commencent les aventures du docteur Rayn Bethset et de sa fidèle Viviane, ou plutôt de son fidèle Vastrulah.
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Rayn et le démon d'eau douce
ParanormalLe nom de Rayn Bethset ne passe jamais inaperçu dans la presse vétérinaire. Référence mondiale lorsque l'on parle d'axolotl, Rayn n'a d'yeux que pour son familier, Viviane. En vérité Vastrulah, démon millénaire piégé malgré lui dans un corps d'amphi...