Prologue ♕

8.7K 303 24
                                    

Les hommes sont d'une simplicité enfantine. Assoiffés d'attention, vulnérables dès qu'ils se sentent négligés. Comme une toile vierge attendant l'artiste, ils sont prêts à tout pour attirer un regard, un sourire, une once de reconnaissance. Les enfants pleurent pour obtenir ce qu'ils veulent ; les hommes, eux, sortent leur portefeuille.

La comparaison pourrait s'arrêter là, mais j'éprouve un plaisir coupable à les voir se pavaner, convaincus d'avoir conquis ce que je leur accorde avec parcimonie. Leur triomphe est une illusion savamment entretenue. La véritable stratège, c'est moi.

Je franchis le seuil du bar, temple du luxe et de la démesure. Ici, au cœur de Londres, se croisent magnats de la finance, banquiers en pleine séduction commerciale, ministres en quête de discrétion. Ce lieu est mon terrain de chasse.

L'ambiance est feutrée, tamisée par la lueur dorée des appliques murales. Un pianiste solitaire fait courir ses doigts sur les touches, sa mélodie s'élevant en un murmure nostalgique, comme échappée d'un film noir. Un parfum de whisky vieilli et de cuir s'attarde dans l'air, enveloppant la salle d'une aura d'exclusivité.

Les regards se braquent sur moi dès mon entrée. Désir. Envie. Possession.

Je les ignore avec une indifférence soigneusement étudiée et avance d'un pas assuré. Mon pantalon à la coupe impeccable épouse ma silhouette, ma blouse Etro caresse ma peau avec légèreté, et mes escarpins Jimmy Choo – vestiges d'un amant éconduit – résonnent doucement sur le parquet ciré.

Une fois installée au comptoir, un Bloody Mary glisse devant moi, reflet écarlate de ma manucure. À peine ai-je effleuré mon verre qu'une ombre s'avance avec la discrétion d'un éléphant dans un magasin de porcelaine.

— Puis-je vous offrir un verre ?

L'audace mal dissimulée dans sa voix ne suffit pas à masquer son manque de subtilité. Je l'ignore un instant, laissant mon silence peser, puis daigne lever les yeux. Il me scrute avec espoir, comme si j'étais un trophée à décrocher.

Une montre Omega trop voyante, un costume mal ajusté. L'illusion de la richesse sans la prestance qui va avec. Il veut impressionner. Il échoue.

Je lui accorde un sourire poli.

— C'est gentil, mais non merci.

Je détourne le regard, scellant ainsi la fin de notre interaction. Il tente une relance maladroite, que j'anéantis d'un refus plus ferme. Dépité, il s'éloigne.

Et c'est à cet instant que je le vois.

Lui.

Un homme en retrait, appuyé négligemment contre le comptoir, un verre de whisky entre les doigts. Sa présence est aussi imposante que contenue, sa posture empreinte d'une confiance tranquille. Il ne cherche pas à attirer l'attention. Il sait qu'il la possède déjà.

Nos regards se croisent.

Une tension électrique s'installe, presque imperceptible, mais bien réelle. Il ne sourit pas immédiatement. Il attend. Il m'évalue. Puis, lentement, le coin de ses lèvres s'étire en un sourire infime, à peine esquissé. Un sourire de défi.

Le jeu vient de commencer.

Il s'avance vers moi. Son costume Armani épouse ses épaules avec une perfection insolente. Lorsqu'il s'assoit à mes côtés, ce n'est pas une demande, mais une évidence. Comme s'il avait déjà conquis cet espace.

Je l'observe du coin de l'œil. Son parfum boisé, subtilement entêtant, m'effleure les sens. Il commande un whisky, sans me quitter des yeux.

— Je suis en ville depuis quelques semaines, et pourtant... Je suis surpris de ne pas vous avoir vue ici auparavant.

Sa voix est profonde, légèrement rauque. Un timbre qui s'infiltre sous la peau.

Un sourire en coin naît sur mes lèvres.

— Peut-être que vous ne regardez pas assez attentivement.

Il rit doucement, un son grave et velouté qui glisse sur moi comme une caresse.

— Vous avez raison. Je devrais peut-être corriger cela.

Le barman lui tend son verre. Il lève le poignet avec une élégance nonchalante, dégustant son whisky sans jamais détourner le regard. Il m'analyse, m'examine, comme s'il cherchait à voir au-delà de la façade que j'offre au monde.

— Et vous, que faites-vous dans un endroit comme celui-ci ? demande-t-il enfin, une lueur de curiosité dans les yeux.

— Je cherche des moments d'évasion.

Je hausse les épaules avec une fausse désinvolture.

— Et vous ?

— Je suis ici pour affaires. Mais parfois, les affaires et le plaisir s'entremêlent.

Je fais tourner mon verre entre mes doigts, savourant l'épaisseur de la tension qui s'installe.

— Les affaires et le plaisir... Je marque une pause, l'observant à travers mes cils. Où commence l'un et où finit l'autre, selon vous ?

Il prend une nouvelle gorgée de son whisky, l'intensité brûlante de son regard ne faiblissant pas.

— Parfois, il est difficile de les distinguer. Mais ce soir, j'ai l'impression que le plaisir l'emportera.

Il se penche légèrement vers moi, réduisant la distance, son souffle frôlant ma peau.

Un frisson me parcourt, mais je ne cille pas. 

— Eh bien, voyons jusqu'où ce plaisir peut nous mener.

Un sourire effleure mes lèvres. La nuit s'annonce longue, imprévisible. Et j'ai bien l'intention d'en savourer chaque seconde.

Usurpatrice Tome 1 : Tentation (EN REECRITURE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant