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-Là, du coup, je dois sursauter et proposer de te laisser ?

-Pour que je te retienne. Ouais, c'est l'idée.

Gaëlle sourit au garçon. Il a des cheveux noirs, des yeux aux nuances chocolat, et des lunettes fines. Contrairement à la quasi-totalité -pour ne pas dire la totale totalité- des adolescents présents, il ne semble pas ivre ou pété. Il lui sourit aussi. Son regard sombre ne la met pas mal à l'aise. Elle a plutôt du mal avec les iris heureuses.

-Camille, lâche-t-il.

-Gaëlle.

Ils se dévisagent encore un moment. Gaëlle rompt le contact en cherchant une cigarette dans ses poches pleines à craquer, sans succès.

-Eh, Camille ? T'aurais pas une clope ?

-T'aurais pas du feu ?

Ils s'échangent rapidement ce dont ils ont besoin, complices. Généralement, en soirée, tout le monde tape dans le paquet de tout le monde. Mais Gaëlle sait ce que représente une cigarette, et Camille ne semble ignorer ce que signifie un stupide briquet bic.
Gaëlle repense aux mots d'Hippolyte.

C'est fini, entre nous. Désolé, Gaëlle.

Elle tire sur sa clope, la savoure un instant, puis en recrache la fumée. Camille, à côté, la fume différemment, comme s'il était pressé de la terminer.

-Pourquoi tu fumes, si t'aimes pas ça ?

-Qui te dit que j'aime pas ça ?

-J'sais pas... ça se voit.

-T'es plus perspicace que la plupart des gens, toi.

-C'est pas vrai. C'est juste que la plupart des gens en ont rien à faire.

Il se contente de l'observer, une lueur étrange dans les pupilles. Il la trouve différente. Elle tire sur sa cigarette, lui aussi. Quelquefois, elle s'arrête pour boire une gorgée de Guinness, sans vraiment l'apprécier.

-Pourquoi tu bois si t'aimes pas ça ?

-Réponds-moi, et je te répondrai peut-être.

"Peut-être", si jamais il s'avère assez intéressant pour qu'elle se confie à lui. D'ordinaire, en soirée, elle évite de parler avec les gens qui l'entourent. Elle les trouve un peu idiots. Et beaucoup trop bourrés.

-Je crois qu'on fait tous un tas de trucs sans vraiment les apprécier. J'ai commencé à fumer en troisième. J'étais con, et j'en avais vraiment pas besoin. Mais ça me donnait un genre. J'ai arrêté en entrant au lycée. Puis, à la fin de la seconde, j'ai recommencé. J'en avais besoin, cette fois.

Un silence.

-Ça répond pas vraiment à ma question, Camille.

-Merde ! La plupart des gens remarquent jamais...

-Je suis pas la plupart des gens.

Un nouveau silence. Camille semble intéressant aux yeux de Gaëlle.

-Quand je fume, je pense à des trucs qui me flinguent. Alors, je fume vite. J'aime la sensation de fumée dans mes poumons, mais je déteste les trucs qui me viennent à l'esprit.

Elle attend avant de parler. Mais rien qu'un court instant, comme pour se laisser le temps d'absorber le nouvelles informations.

-J'aime pas cette bière. Mais, quand j'en bois, j'ai des souvenirs qui me reviennent. C'est des souvenirs qui me manquent, mais quand j'essaie de les rappeler sans boire cette horreur, j'ai envie de pleurer.

-Pleurer est si dramatique que ça ?

-Non. Mais je suis déshydratée.

Ils rient, et, cette nuit, sur cette terrasse enfumée, se crée une bulle d'amitié.

GaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant