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Gaëlle a besoin d'une nouvelle clope. Aussi en sort-elle une du paquet qui lui a ivrement été confié.

-Eh, Gaëlle ?

Elle se tourne vers lui, les sourcils froncés.

-Pourquoi tu fumes autant ?

-J'en ai besoin. Plus tôt, je... avant de me mettre à la clope, j'avais, hum, j'avais des tendances... comment dire ? Je ferais mieux de te montrer, tu comprendras mieux.

Elle coince la cigarette exutoire entre ses lèvres pour retrousser sa manche gauche, révélant son poignet d'albâtre constellé de minuscules cicatrices. Un éclair de compréhension passe dans les yeux de Camille, et Gaëlle rabat son vêtement.

-Quelques temps après avoir commencé à fumer, je me suis rendu compte que j'avais plus besoin de me couper. Et, un jour, j'ai compris que c'était soit ça, soit le tabac. J'ai choisi le tabac. C'est une drogue. Les deux le sont. J'ai la conviction que fumer est une forme de mutilation. J'ai dû choisir entre deux sortes.

Gaëlle, après son monologue, a les larmes aux yeux. Elle ne parle jamais de... ça. C'est trop intime, trop douloureux, aussi. Même Nicholaï ne sait rien de tout ça.

-Pourquoi ce besoin ?

-Je... honnêtement, je sais pas exactement. Souvent, je me sens seule, vide, triste. Et par "souvent", je veux dire "tout le temps". J'ai du mal avec les gens de mon âge. Avec les gens en général, en fait. Je vois les gens s'envoyer et recevoir des messages sans arrêt, se sourire et se parler constamment. Les gens ont des amis, et moi, malgré tous ceux qui m'entourent, j'ai l'impression de pas en avoir. J'ai l'impression d'être seule. Alors... je sais pas, c'est la seule solution que j'aie trouvée pour aller mieux, ne serait-ce qu'infimement.

-T'es arrivée avec ce gars. On m'a dit que c'était ton meilleur ami. Explique-moi, Gaëlle, parce que je comprends pas.

-Je sais pas... Quoi qu'il arrive, je me sens seule. Quand j'étais en relation, j'avais des messages mignons, et ça allait un peu mieux. Mais maintenant, je suis de retour au point de départ : seule, et avec l'impression d'être de trop partout.

-La sensation d'être à ta place nulle part, avec personne ?

-Ouais, exactement ! Ce qui me manque, je crois, c'est ce sentiment d'appartenance.

-Parfois, je crois que je me sens même pas à ma place avec moi-même. Gaëlle, t'as peut-être l'impression d'être seule, d'appartenir à aucun groupe, mais t'es pas la seule dans ce cas, OK ? Moi aussi, parfois, j'ai l'impression que le monde tournerait tout aussi bien sans moi. Moi aussi, parfois, je me dis que je manquerais à personne. Je sais pas si c'est vrai, OK ? Mais j'ai le sentiment que l'humanité manquerait vraiment un truc si t'existais pas.

-Pourquoi la douleur existe, Camille ?

-Si tu ressentais pas la douleur, comment tu pourrais ressentir le bien-être, Gaëlle ? Si tu connaissais pas le chagrin, la peine, comment tu pourrais reconnaître la joie, le bonheur ? Tout est une question de contraires : si tu sais que le noir existe, c'est parce que le blanc existe.

-T'es un philosophe, en fait.

GaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant