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Gaëlle retire une taffe. Elle laisse la fumée se répandre dans sa bouche, ses poumons, la savoure avant de la recracher.

-T'as déjà eu l'impression de pas être légitime d'être malheureuse, Gaëlle ?

Elle acquiesce silencieusement.

-Un jour, on m'a dit que j'avais pas le droit de me sentir mal parce que j'ai pas de "vrai" problème. C'est des conneries. Le malheur, c'est pas un concours, putain ! J'ai le droit d'être triste parce qu'un pote dont j'étais pas vraiment proche me parle plus. T'as le droit d'être triste parce qu'un gars dont t'étais pas vraiment amoureuse t'a quittée. Faut arrêter de classer les douleurs. Faut arrêter de dire que quelqu'un est pas légitime d'être malheureux. Putain, on est pas "éligible" au malheur !

-Tu pleures, Camille.

-Je sais. Je crois que je suis en colère contre le monde entier.

-T'as le droit. C'est normal, même.

D'un geste rapide et furtif, il attrape la cigarette que porte Gaëlle à sa bouche pour la fumer lui-même. Elle le regarde, indignée.

-Eh !

-Parle-moi encore, Gaëlle. J'ai l'impression de voir le reflet de mes sentiments en les tiens.

-Donne-moi de quoi disserter, Camille.

Il réfléchit en silence un instant, tandis que Gaëlle sort une nouvelle cigarette du paquet.

-T'as peur de la mort, Gaëlle ?

-Regarde combien je fume, Camille.

-Je préfère quand tu développes.

-Si t'y tiens... On s'achemine tous inexorablement vers la mort. Chaque seconde qui passe nous rapproche irrémédiablement de la mort. Avoir peur d'un truc qui arrivera de toute façon... j'ai pas le temps pour ça. On va tous crever, alors autant profiter des heures, des jours, des années qui nous restent. Je pense que la mort, c'est ce qui fait la beauté de la vie. Pour reprendre ta théorie des contraires, sans la mort, y a pas de vie. Alors non, j'ai pas peur de la mort. J'ai peur de vivre sans rien accomplir, mais pas de mourir. La mort, c'est juste la fin de l'histoire.

-La théorie des contraires... ça claque, non ?

Elle tire une taffe en riant.

-Ouais, ça claque. Dis, Camille, pourquoi les gens préfèrent les rigolades aux discussions profondes ?

-Parce que c'est dur de parler de ses problèmes. Parce que les gens ont peur de s'avouer que leurs opinions divergent. Avoir une discussion profonde, c'est avoir une discussion à cœur ouvert. Et avoir une discussion à cœur ouvert, c'est montrer ses faiblesses. Et ça, ça effraie.

-Pourtant, c'est facile, entre toi et moi.

-Réfléchis, Gaëlle : on se connaît pas, et on se reverra probablement jamais. Je ferai rien de tes faiblesses, tu feras rien des miennes. Cette rencontre, cette discussion, c'est juste une pause dans le temps.

-J'aime bien cette idée : toi et moi, on est juste une pause dans nos histoires respectives.

GaëlleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant