François de Perceforest

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C'était il y a bien longtemps qu'il était passé par ici . Ici, sur la terre de son grand père et celle de son père avant lui . Mais aujourd'hui, le temps pressait et il ne pouvait que survoler du regard le grand espace désertique qui s'étendait à des miles et des miles au nord, au sud , à l'est , à l'ouest avec comme seule limite le ciel blanc tâché de gris sale et la verticalité des troncs d'arbres dégoulinants d'eau mêlée à de la neige fondue .

Cela faisait plusieurs semaines déjà qu'il était parti. La marche, les heures passées à soulever ses pieds dans la gadoue l'avait éreinté mais il devait continuer malgré le froid et vent du nord qui commençait à se lever. Marcher, toujours marcher, et continuer. Tel était l'impératif dans cette région isolée. Les seuls animaux qu'ils avaient pu apercevoir étaient des grands oiseaux noirs, qui descendaient en poussant de grands cris vers des landes plus clémentes. 

Et lui, lui allait en sens inverse, toujours avançant malgré la fatigue, la saleté des chemins en terre dans les forêts, les auberges miteuses. Il avait du à plusieurs reprises se lever avant l'aube, dans un froid mordant- celui qui vous saisit en vous coupant la respiration – et aller toujours plus avant jusqu'au village de Radaran , encaissé au fond d'une vallée bordée de hautes montagnes aux pics acérés . Il espérait bien y arriver le jour même sinon cela le contraignait à passer encore une nuit dans ces lieux de passage qu'il n'aimait guère et qu'il craignait.

Au début de son voyage, il n'avait de cesse de regarder derrière lui, craignant que des hommes dépêchés par le Roi ne le suivent. Mais au fur et à mesure que le temps passait, et qu'il avançait plus loin encore à l'est vers les montagnes, sa crainte diminuait. Ils ne le trouveraient probablement pas encore un bout de temps et un homme seul à pied attire moins l'attention qu'un homme seul sur un cheval.

Quand on l'avait consulté sur la menace grandissante, sur l'ombre maintenant démesurée du Roi , il s'était contenté de hausser les épaules. Le Royaume était fort. Pourquoi se soucier d'une ombre ? Mais l'ombre avait bien grandie et avait débarquée sur les terres. Elle était passée du stade d'immatérialité à celui de vérité et cette vérité s'appelait la guerre. Maintenant les terres étaient siennes. Un bon mariage arrangerait bien la conquête de la Terre d'Est d'autant donné que la reine venait de divorcer avec son premier époux . Elle était maintenant libre de s'unir avec le conquérant. A eux seul, ils formeraient un grand et vaste royaume, plus grand encore que l'empire ne l'avait jamais connu. Parce que si ces deux là s'unissaient , alors leurs royaume serait irrémédiablement annexé et en viendrait à parler la langue de l'envahisseur, payer de lourds impôts. Alors il avait du prendre ses affaires et fuir , fuir vers les terres où il avait vu le jour même s'ils les avaient quittés quand il était un enfant , ces grandes landes battues par les vents lui donnèrent l'impression de rentrer chez lui , le dos à l'océan et à ses embrunts, toujours plus vers le froid, l'altitude et les montagnes enneigées .

Aucune trace du soleil ce jour là . Il atteignit la ville de Radaran, entre les deux pics jumeaux Nin-Gisil et Nin-Ridal en fin d'après midi. Encaissé au fond d'une vallée , au pied d'une haute montagne , le bourg devait sa réputation au cour d'eau qui la traversait , le Smaradgus , ainsi appelé en raison de la couleur bleuâtre qui charrie l'eau des hautes cascades . La neige commençait à tomber en petits flocons blancs et c'est sous une chiche pellicule de glace qu'il pénétra dans la petite ville. Il déambula dans les quelques rues commerçantes en manquant à chaque pas de glisser. En levant les yeux, des stalactites suintaient comme pour pleurer l'arrivée imminente de l'hiver et des froids plus glacials encore . Frigorifié, il entra dans une taverne animée où le bruit des conversations allait et venait ; Il s'installa dans un coin en ôtant ses gants mouillés et en se débarrassant de sa cape . De là , il avait vu sur toutes les allées et venues. Personne ne le dérangerait . C'était bien .

 Le tavernier s'approcha de lui et pris sa commande –un homme alerte aux grands yeux bleus de bébé et revint avec un grand verre de la boisson de la région : du vin aux noix.

Avant qu'il en ait pu gouter une gorgée, quelqu'un s'approcha de lui et lui glissa à l'oreille :

- Si j'étiez vous , je ne boirai pas ça .

En relevant les yeux , il considéra un étranger à la mine renfrogné qui lui répétait :

-posez ce verre, c'est tout simplement infect .


La dernière couronneWhere stories live. Discover now