Zola
Un chaud jour d'août 2018. Je viens d'avaler des médicaments après trois mois de menaces auprès de mes parents. Je voulais simplement que l'on prenne conscience de ma souffrance aiguë. On appelle ce genre de chose '' TS'', soit ''tentative de suicide'', pour ceux qui osent le dire en entier.
A ce moment-là, j'ai déjà effectué deux séjours courts en service pour ados '' a risque''. Deux séjours, de deux semaines, en deux mois. Ça fait beaucoup de deux.
Je me souviens de la finale de la coupe du monde de foot, fêtée en salle télé, avec un repas retardé pour l'occasion. Retardé ne veut pas dire amélioré.
Cette fichue odeur de javel qui nous rinçait le nez en passant dans ces couloirs nettoyés mille fois par jour, et le parking où l'on descendait pour prendre l'air, où mes parents m'apportaient quelques gâteaux, lors de leurs visites. A la fin de mon deuxième séjour,j'étais nominée sur la liste de ceux qui ne pouvaient plus descendre. Préférence du médecin.
Il y avait ces sorties définitives où l'on revenait fatalement, ou pas.Cette pièce où étaient rangées les affaires '' a risque''des ados, comme les déos à spray ( pour éviter qu'on le respire volontairement), les rasoirs ou encore les ceintures.
Le premier jour de ma toute première hospitalisation, je ne manquais pas de verser quelques larmes, persuadée d'être arrivée en prison. Inconsolable à l'idée de rester dans ce trou a rat, j'ai d'abord refusé de vider ma valise. Les vêtements rangés de force, elle a terminé enfermée à clef. Sinon, on s'habitue vite, je vous rassure.
Je ne les avais pas encore, mais je connaîtrai bien pire plus tard.
Auxence
J'ai toujours eu des problèmes pour me faire des potes. A l'école, on rigolait toujours de mes oreilles trop grandes, de ma taille de ''fil de fer'', ou plus simplement, de moi et mon prénom '' bizarre''. Les profs m'appelaient Maxence, surtout à la rentrée, et je détestais ça. Surtout parce que Maxence c'est le prénom de mon cousin, et je le déteste.
Après des débuts au collège plutôt éprouvants, au soir de ma deuxième journée de quatrième, j'ai craqué, et j'ai commencé à me tailler les mains. D'abord de toutes mes forces avec un compas,puis avec une paire de ciseaux, et enfin, un peu plus tard, un couteau bien aiguisé. Les lames qui laissent couler le sang, me soulagent.
Les cicatrices sont apparues bien vite, formant des traces épaisses dans la peau de mes mains, que je déteste autant que le reste de mon corps.
Mon problèmes'est aggravé au début de l'année 2018, lorsque j'ai tenté de me pendre. Ma mère m'a surpris dans ma chambre mais ne m'a pas sauvé la vie: incapable de faire le nœud, tel un galérien,j'ai eu plus honte qu'autre chose. Comment pourrait-on rater sa mort ?
Emma Bovary a bien réussi à la rater en plus de sa vie. Merci madame G., super prof de français !
Zola
Mes parents m'ont toujours soutenu, accompagné. Par leur soutien, leur écoute,leur sens de l'observation aussi lorsque je n'allais pas bien du tout, à la maison.
J'ai quitté le lycée du jour au lendemain, a un mois du Bac,pourtant si bien préparé par madame G. Soyez brillants ! Nous répétait-elle souvent.
Comment aurais-je pu imaginer ce qui m'attendait ?
Mes deux sœurs aussi m'ont toujours soutenues, à leur manière. Lorette m'envoyaient des courriers mais refusait toujours de venir me voir et Émilie me faisait de jolis dessins, que mes parents m'apportaient lors de leurs visites quotidiennes. Ma soit disant '' meilleure amie'', elle, ne m'a passé aucun coup de fil et n'est jamais venue me voir. C'est beau l'amitié quand on y pense, n'est-ce pas ?
Dans l'unité, je tournais en rond, passant du canapé de la salle télé à ma chambre, et l'inverse durant toute la journée. Le midi, l'on mangeait souvent des macaronis, à mon plus grand bonheur. Le soir,un temps de groupe avant le repas clôturait les visites extérieures.Il se passait dans une petite bibliothèque où depuis l'unique fenêtre, on voyait les toits de la ville.
Auxence
Je suis arrivé un peu perdu dans cet endroit super propre. Pas mon habitude.Ma mère ne fait jamais le ménage, la corvée me revient tous les jours. Bon, heureusement, je n'ai ni petit frère, ni petite sœur qui mangerait son BN sur le canapé, devant Gulli. Ni grand frère ou grande sœur à qui je pourrais piquer les fringues. Je suis un enfant unique, non désiré, un '' boulet'', en quelque sorte.
Elle est alcoolique et dépressive, mon ''assistée'', comme j'aime l'appeler.
Jamais de ''maman'', de petit surnom mignon. Et ton surnom à toi, c'est quoi Auxence ? Me demandaient les Léo, Théo et Enzo en primaire. Je ne savais jamais quoi répondre, alors je haussais les épaules et bredouillais '' ché pas''. Jamais su pourquoi on m'avait appelé ainsi. Jamais demandé non plus.
Zola
J'hésitais à aller discuter avec les autres. Majoritairement des filles, on envoyait parfois certaines claquer les portes ou se lamenter de la non venue de tel ou tel proche. Ça me fendait le cœur. Mais je me rendais compte que je n'étais pas seule dans mon malheur.
Pour me soulager et penser à autre chose, je mettais souvent de la musique,Soprano ou Katy Perry, bien que ça date un peu. Dans ma chambre, il y avait un tableau Veleda où on pouvait écrire ce qu'on voulait.
A chaque fois que mes parents y écrivait un petit mot, je l'effaçais dès qu'ils étaient partis. Le soir après le repas, lorsque les autres filles se retrouvaient dans une des chambres, elles noircissaient le tableau de messages et de dessins. Jalouse, moi ?
Non, je me contentais de prendre une douche et me glisser sous les draps.
Et ça me suffisait.
Alors que depuis le départ du dernier garçon, nous formions un groupe uniquement composé de filles, il arriva tel un cheveu sur la soupe.Madame Y. nous le présenta alors que nous regardions les anges de la télé-réalité, assises au fond des fauteuils neuf et colorés. Banal. Coiffé comme la plupart des ados de mon ancien lycée,habillé simplement et, petit signe de différenciation, il portait un sac Quechua a la place du Eastpack de rigueur chez les jeunes.
Au repas, il hésita longuement à venir s'asseoir a ma table, et une fois installé, il n'en bougea plus jusqu'au dessert. Je tentais de lui sourire pour lui en décrocher un, mais son visage crispé et figé me fit comprendre qu'il n'était pas d'humeur à ça. Il effectua docilement les tâches de débarrassage, puis se dirigea vers sa chambre.
Auxence
J'arrivais dans l'unité avec une assistante sociale, qui était venue me chercher chez moi un peu plus tôt dans la journée. De suite, on me présenta au groupe de filles, mais mal à l'aise, j'osais a peine sourire. Me tordant les doigts de stress et sentant mes pulsions auto-agressives me dépasser, je préférais aller m'isoler dans ma chambre. Le repas fut un calvaire, mes ongles cachés sous la table me titillaient, prêts à s'enfoncer dans ma chair. Je quittais le réfectoire au pas de course.
Le soir au fond de mon lit, j'entendis en plus des sanglots, des cris d'animaux,gloussements de dindon et aboiement de chien.
Mon séjour dura trois jours, avant que je rentre chez moi, trop mal dans cet asile de fous.
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Et les pyjamas bleus
RomanceZola aime Auxence. Et ce depuis leur entrée en unité psychiatrique. Ensemble, ils se guériront mutuellement.