Cette partie porte le nom de Creep, en référence à la chanson de Radiohead. C'est l'une des incontournables de la musique. Elle m'a beaucoup aidé pendant de longs moments de déprime, elle m'a donné le sentiment de pas être le seul à ressentir ce grand vide, parfois.
LOUIS
Harry. C'est le nom de ce vendeur de vingt ans, aux cheveux bruns très longs, aux grands yeux verts moqueurs. Cela doit faire seulement une heure que nous sommes bloqués ensemble, mais il me sort déjà par tous les orifices tant il est moqueur. J'ai voulu engager une conversation sur un sujet neutre, afin de rendre ce temps passé un peu plus agréable. On a parlé de musique jusqu'à ce qu'il considère mes goûts musicaux de "médiocres" et "dignes d'une adolescente de quinze ans". Maintenant, j'ai pris un magazine pour enfants et un crayon pour en compléter les jeux, tandis qu'il continue de raisonner à haute voix.
- Je ne comprends plus la musique de nos jours, les sons populaires sont sans aucun sens, basés sur la même rythmique, les mêmes accords. Je te parie ce que tu veux que je peux jouer le top 50 actuel avec quatre accords et une guitare.
- Parce que tu sais faire de la musique, avec ton arrogance ? Demandé-je, en plein milieu d'un pêle-mêle.
Il lève les yeux au ciel. Je ne le vois pas, mais j'imagine, car il ne fait que ça depuis le début. Il se lève et va jusqu'aux toilettes qu'il m'a montré plus tôt, une pomme lumineuse dans la main. Je ne me préoccupe plus de lui, essayant de trouver le mot "chaussure" dans toutes les lettres. Soudain, un bruit de guitare me fait relever la tête. Harry porte une sangle autour de lui, au bout de laquelle se trouve une guitare sèche.
- Qu'est-ce que tu fous ? Soufflé-je en posant mon crayon.
- Je te prouve que je sais faire de la musique, dit-il. C'est ma guitare, que je cache dans les toilettes, parce que... c'est comme ça.
Il prend un air mystérieux. Puis finalement il s'assoit, ayant réussi à obtenir mon attention. Il joue quelques notes pour débuter un morceau que je ne peux pas ne pas reconnaître. Creep. Ma chanson préférée. Je suis impressionné, car la musique n'a jamais été quelque chose que ma mère m'a proposé de découvrir quand j'étais jeune. Chez moi, c'était plus activité sportive. Cela me semble donc étonnant que quelqu'un de mon âge puisse jouer une chanson sur commande avec cet instrument qui m'est étranger, presque comme de la sorcellerie.
Alors que je pensais ne pas pouvoir être plus étonné, Harry se met à chanter. Et sa voix. Elle m'hypnotise totalement. Autant, parlée, elle est très belle. Mais avec ses intonations, je fonds complètement, ce qui me perturbe beaucoup, car je n'ai jamais autant frissonné pour une simple voix. Il garde les yeux bas, vers le sol carrelé, pendant qu'il me susurre les paroles de cette chanson bien particulière. Elle parle d'estime de soi, de douleur, d'envie, aussi, celle d'être différent des autres, de se démarquer. Cette chanson peut facilement résumer toute ma vie.
Depuis que je suis gamin, je rêve de grandeur, de femmes à mes pieds, d'être une grande personne, quelqu'un qu'on admire, qu'on veut ressembler. Mais j'ai fini par étudier l'économie à la fin d'un bac ES plus qu'incertain. J'ai profité de mon origine américaine pour rejoindre mes parents aux Etats-Unis où j'ai passé une formation supplémentaire et m'installer dans une boîte stable pour y faire les comptes. Mais rien d'extraordinaire n'a croisé mon chemin pendant ces vingt-six ans.
- Tu la ramènes moins, ricane Harry lorsqu'il a terminé.
Je me mue dans mon silence, vexé qu'il rigole de moi, encore. Alors qu'il continue de gratter, je me remets à mon jeu, soupirant un peu. On pourrait être amis, lui et moi, mais il est agaçant à se permettre de rire de moi comme si nous étions de vieux copains de fac. Il ne me connait pas et me juge sans aucune gêne.
- Oh, boude pas, dit-il après une petite minute.
- Ce que tu ne comprends pas, commencé-je en fermant le magazine, c'est que rire de quelqu'un dont tu ne connais pas la vie, est quelque chose de grave. Les mots ont une puissance que tu ne sembles pas remarquer, Harry. Je suis un être humain, j'ai mes raisons de ne pas aimer comment tu te comportes, alors arrête.
Il ne me répond pas tout de suite, ses yeux dans les miens. Il hausse finalement les épaules et se remet à gratter sa guitare sans chercher à faire le malin. Bon, ça, c'est fait. Je me remets à faire ces jeux stupides pour m'occuper, priant pour que les secours arrivent avant le lever du soleil, je dois apporter les médicaments à ma mère car je suis le seul vacciné à la maison. Un coup fait trembler la devanture en fer qui nous protège, nous faisant sursauter. On entend ensuite des rires puis des pas s'éloigner. Bon, ces gens ne semblent pas déterminés à tout casser pour braquer une petite épicerie. Harry soupire, il reprend sa guitare et continue de s'amuser avec, tapant un peu du pied.
On passe peut-être un quart d'heure, voire une demi-heure, dans ce silence pesant. Je ne sais pas s'il réfléchit à mes mots ou aux siens, mais il a l'air dans ses pensées alors je ne le dérange pas. Je me lève pour prendre une bouteille d'eau dans son rayon. J'en profite pour observer la boutique, mangée par la noirceur. C'est assez étonnant comme un lieu commun peut devenir assez glauque une fois qu'il n'y a plus de bruit et plus de lumière. On se croirait dans un de ces films d'horreur qui m'empêchent de dormir. Liam s'est déjà moqué de moi à ce propos, et Léa, elle, n'en regarde plus avec moi depuis bien longtemps car elle n'aime pas le fait que je sois si effrayé. Le dernier doit dater de notre premier rendez-vous au cinéma...
- Tu peux m'en prendre une aussi, s'il te plaît ? Demande Harry depuis l'autre bout du magasin.
Je prends une deuxième petite bouteille, avec ma pomme pleine de cire dans la main. Quand j'arrive à lui, je lui pose à côté de son genou. Il ne me remercie pas et la prend directement pour boire dedans. Je continue mon escapade, me promenant dans les rayons garnis. C'est fou comme on trouve tout et n'importe quoi dans cet endroit. D'un côté les brioches, de l'autre les outils de jardinage. Qui jardine à New York ? La musique de Harry s'accélère.
- Is it too late now to say sorry ? 'Cause I'm missing the speaking Louis, chante-t-il en reprenant la fameuse chanson de Justin Bieber.
Ca me fait doucement sourire, sachant qu'il a critiqué cet artiste tout à l'heure. Je pose la truelle que j'ai trouvé pour reprendre ma pomme et aller jusque lui. Il a étendu ses jambes, toujours par terre, et me regarde avec des petits yeux.
- Is it too late now to say sorry ? 'Cause I'm just a stupid Harry ? La fin de sa phrase sonne comme une question.
- C'est bon, soufflé-je face à son regard de chien battu. J'ai peut-être surréagi, désolé.
- Non, c'est moi qui suis désolé, dit-il à son tour, stoppant sa guitare, je voulais pas te blesser, c'est juste mon... mécanisme de défense naturel ?
Encore une fois, il sonne interrogatif. Je lève les yeux au ciel.
- T'inquiète pas, dis-je en me rasseyant, tu pouvais pas savoir que je réagirai ainsi. Mais j'ai mes raisons.
- Quelles raisons ? Demande-t-il, curieux.
- C'est privé, Harry, je fronce les sourcils. Je vais pas commencer à te raconter ma vie alors qu'on se connaît peu.
- Pourquoi pas ? Il me lance un sourire mesquin auquel je ne peux pas résister.

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Torn | L.S.
FanfictionLouis Thomas avait une vie assez plaisante jusqu'à une rupture brutale avec Léa, une femme qu'il aimait - ou du moins, pensait aimer - de tout son être. Il pensait également que rien ne pouvait la rendre pire, désormais, jusqu'à ce qu'il se retrouve...