Le Jour Où Le Monde Pleura

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Arcadia, France, nuit du vendredi 8 mai 2048

Luron se réveilla en sursaut. Son visage était d'une blancheur cadavérique et de grosses perles de sueurs suintaient de celui-ci. Son crâne lui faisait un mal de chien alors qu'il tentait de se souvenir de son cauchemar. Bizarre. Il avait l'impression de revenir de très loin, comme si son âme s'était détachée de son corps pour se projeter ailleurs ; là où des cendres tapissaient un sol ardent. Désormais, ses yeux étaient rivés sur le plafond de sa chambre.

Il jeta un coup d'œil à sa droite. Son téléphone émettait un signal lumineux qui s'éteignait, s'allumait, s'éteignait, s'allumait... Intrigué, il le prit et regarda ses notifications. Étrange, Tobias avait appelé plusieurs fois, d'habitude il ne s'acharnait pas autant et abandonnait dès la première messagerie ; que voulait-il bien lui dire ? Il n'allait pas tarder à le savoir puisque son ami lui avait laissé des messages :

18h13 : Mec !! Tu vois ce que je vois ??! Si non vas tout de suite regarder le live de ScandalTV ! Ça se passe dans une petite ville au Japon !

18h16 : Eeeh oooh t'es là ?

18h30 : C'est juste énooooorme !! T'y crois toi ? Je veux dire... même si on a réussi à développer des jets low-cost, ça reste impossible de rester aussi longtemps dans les airs sans flancher !

19h : Attends... J'ai l'impression qu'ils ont des choses derrière le dos ?!

21h : Mec... C'est horrible... J'espère que c'est un fake... j'ai envie de vomir...

"Qu'est-ce qu'il raconte" se demandait Luron... un accident ? Au Japon ? Des gens en lévitation ? C'était ridicule. Il jeta un œil à l'horloge : il était minuit passé. Déjà ? Luron avait affreusement mal à la tête et il n'était pas encore totalement réveillé ; d'ailleurs, il avait plutôt envie de se recoucher mais, il fallait se l'avouer... les propos de son meilleur ami l'intriguaient beaucoup trop. Avant même de pouvoir poser son téléphone sur sa table de nuit, il rechercha d'amples informations sur cet 'événement'.

Les résultats ne le surprenaient pas tant que ça, les titres étaient assez aguicheurs, ça devait sûrement être une grosse farce : "De mystérieuses apparitions dans le ciel de Nawa", "Véritable manifestation divine, la fin du monde". Mais plus il défilait les pages web, plus il se demandait si mensonge il y avait. Après tout, tout le monde en parlait, même l'Atlas – le Gouvernement Mondial. Sur le conseil de Tobias, il suivit le fameux live.

Il manqua de lâcher son téléphone.

Son expression, d'abord sceptique, vira à l'horreur en l'espace d'une nanoseconde.

Les plans vidéos pris par les drones offraient une vue à la fois spectaculaire et incroyablement funèbre de la ville : à ce moment-là, on l'aurait prise pour un champ de feu. Seules quelques tours s'élevaient encore de ce décor apocalyptique telles de géantes torches enflammées. Les drones se rapprochèrent dangereusement des brasiers sauvages quand le commentateur déplora :

— Mon Dieu... qu'avons-nous fait pour mériter cela ?

Sur certaines images, des montagnes de corps à moitié déchiquetés. Sur d'autres, des membres amputés : des bras sans main, des mains sans doigts, des doigts sans ongle et des yeux sans tête.

Luron réprima une envie de déglutir, déjà qu'il n'avait pas beaucoup mangé de la journée. Il n'en croyait pas ses yeux, la ville était dévastée, qu'avait-il bien pu se passer ? Désormais, il écoutait assidûment le commentateur.

Après de longues minutes, celui-ci brisa le silence pesant :

— Pour ceux qui viennent d'arriver, s'il y en a, ceci est l'œuvre de bêtes ailées anthropomorphes... Je sais que cela peut paraître insensé voire ridicule mais c'est pourtant la vérité. Vers 15h de l'après-midi, dans la petite ville prospère de Nawa qui comptait alors un demi-million d'habitants, une centaine d'ombre blanche sont apparues à plus de 300 mètres d'altitude. La police locale a été alertée et s'est préparée lourdement afin de prévenir tout débordement. Pendant 4 heures, ces silhouettes ont encerclé la ville et sont restées absolument immobiles. Nous avons même tenté de les approcher avec nos drones, mais en vain... ils ont explosés en plein vol. À 19h01, elles se sont mises en mouvement à une vitesse imperceptible pour notre œil. En l'espace de 10 minutes... 10 MINUTES SEULEMENT ! Les policiers ont été désarmés, mutilés et...

Il marqua une pause qui déchira l'air et le temps. Luron s'accrochait à chacun de ses mots comme s'ils l'empêchaient de sombrer dans la folie.

— Mangés ! Ils les ont tous mangés ! TOUS ! Les seniors, les enfants... LES BÉBÉS ! TOUS ! Personne n'a été épargné ! Des 500000 habitants... il n'en reste plus un seul...

Le commentateur s'effondra en larme.

Mais cette nuit-là, il n'était pas le seul, le monde entier pleurait avec lui.

AkayukiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant